Les deux prochaines semaines s’annoncent cruciales pour le dossier présidentiel qui semble s’être brusquement emballé. En principe, le chef du courant du Futur Saad Hariri a mis au point l’intervention dans laquelle il devrait annoncer son appui à la candidature de Michel Aoun à la présidence.
Toujours en principe, cette annonce serait imminente et devrait être faite en présence de plusieurs députés de son bloc parlementaire (qui en compte officiellement 34, mais dont le chef, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, est opposé à cette démarche). Immédiatement après l’officialisation de cette annonce, « le candidat Michel Aoun » devrait entamer une série de contacts avec la plupart des parties politiques, et en particulier avec ceux qui affichent une hostilité déclarée à sa candidature, pour tenter de les convaincre de changer de position, après avoir bien sûr remercié Saad Hariri pour sa confiance et son soutien. L’idée d’une visite de Aoun à Aïn el-Tiné est même envisagée, mais le temps presse car le président de la Chambre sera en dehors du Liban à partir du week-end et ne rentrera que quelques jours avant la date fatidique du 31 octobre.
De toute façon, les avis sont partagés au sujet de la possibilité pour Aoun de convaincre le président Nabih Berry de changer d’avis à l’égard de son élection à la présidence après les positions en flèche attribuées à ce dernier dans les médias. Pour certains, Berry a déjà fait son choix, il serait l’un des leaders de l’opposition si Aoun devait être élu à la présidence, alors que pour d’autres, ce ton élevé serait en fait destiné à pousser Aoun à discuter avec lui. Depuis l’accord de Taëf, Berry, qui a pris à partir de 1992 la tête du Parlement, se considère un peu comme « le faiseur de présidents » ou, plus précisément, comme le metteur en scène des décisions prises à Damas ou ailleurs. Or dans ce qu’il considère comme « une première de mauvais augure », Berry a été tenu à l’écart des derniers développements dans le dossier présidentiel. Ce qui, selon ses proches, est non seulement absurde, mais aussi maladroit, puisque, en sa qualité de chef du Parlement, Berry peut faciliter le processus électoral, en plus du fait qu’il est à la tête d’un bloc parlementaire de 13 députés. Cette « mise à l’écart », volontaire ou non, est venue couronner une longue série de malentendus entre le président de la Chambre et le chef du bloc du Changement et de la Réforme, sans parler des relations tendues entre Berry et le chef du CPL Gebran Bassil, surtout depuis la prise en charge par ce dernier du ministère des Affaires étrangères, considéré par Berry comme un domaine « réservé ».
Il était donc normal que, dans ce contexte précis, Berry hausse le ton contre la candidature de Aoun, sachant que depuis le début, sollicité par le CPL, le Hezbollah a fait savoir qu’il ne compte pas intervenir auprès « de son allié » avant l’officialisation de l’adoption de la candidature de Aoun par Saad Hariri. Si l’on prend en compte cette affirmation, les événements se déroulent donc selon le scénario prévu. Sauf que la violence de la campagne menée par Berry et ses proches contre la possibilité d’élire Michel Aoun à la présidence a surpris les différents protagonistes politiques et douché l’enthousiasme de ceux qui croient que cette élection est imminente. Jusqu’où ira Berry ? C’est la question que de nombreux protagonistes se posent. La réponse dépendra en fait des ultimes contacts avant la séance électorale prévue le 31 octobre. Mais, selon des sources proches du 8 Mars, le véritable problème pourrait être entre Berry et le Hezbollah, et non entre Berry et Aoun comme on a tendance à le mettre en relief. Lors de la conclusion de l’accord de Taëf, le président de la Chambre a été considéré comme le représentant de la communauté chiite, à la fois dans les négociations et dans les nominations administratives. Il s’est en quelque sorte approprié de facto « la part des chiites » au sein de l’administration. Il craindrait donc que cette situation change avec l’élection de Michel Aoun qui pousserait le Hezbollah à vouloir désormais lui aussi participer aux nominations administratives. Ayant été la cible d’attaques virulentes au cours des dernières années, le Hezbollah pourrait donc modifier la décision prise depuis le retrait des troupes syriennes du Liban en 2005, de ne pas s’impliquer au sein de l’État pour conserver une marge de manœuvre et sa liberté d’action, donnant ainsi à Berry le monopole de la représentation des chiites au sein de l’État et dans la gestion des affaires politiques. Dans ce contexte, la campagne de Berry contre l’élection de Aoun serait donc indirectement dirigée contre le Hezbollah, le président de la Chambre souhaitant obtenir des assurances sur son rôle dans l’étape future. Toutefois, des sources proches du Hezbollah affirment catégoriquement que toutes ces appréhensions sont injustifiées, le parti n’ayant absolument pas l’intention de modifier sa décision de ne pas s’impliquer dans les dossiers internes libanais. Sa priorité actuelle est la situation régionale et il n’a nullement l’intention d’entrer dans les méandres de la politique locale. Il ne souhaite pas devenir un partenaire à part entière dans la gestion des dossiers ni concurrencer qui que ce soit dans les nominations ou autres décisions concernant l’administration publique. Il ne veut pas non plus jouer le rôle de « garant », ni même celui d’ « allié omniprésent »… Il le fera savoir à qui de droit, après l’officialisation de l’appui de Saad Hariri à la candidature de Michel Aoun..