Le président de la République, Michel Aoun, a appelé hier les Libanais à se préparer à lui prêter main forte pour l’édification de l’État. Dans son premier message présidentiel à la nation, le général Aoun a repris les grandes lignes de son discours d’investiture, notamment la volonté d’empêcher le Liban de souffrir des répercussions négatives des conflits en cours dans la région, celle de renforcer les capacités de l’armée libanaise, à laquelle il a rendu un vibrant hommage, et celle enfin de lutter contre la corruption par l’éducation et la culture.
Voici le texte quasi intégral de l’allocution prononcée par le chef de l’État à l’occasion de la fête de l’Indépendance :
« Libanais,
« Nous célébrons demain notre 73e fête de l’Indépendance, qui a cette année un goût particulier, maintenant que notre lutte a porté ses fruits, que le sang de nos martyrs a donné ses fruits, que la promesse que nous leur avions faite est en voie de réalisation. L’indépendance n’est plus une fête si elle n’est pas celle du peuple conforté dans sa sécurité et ses lendemains, si elle n’est pas le festival de la souveraineté nationale ; elle devient alors une commémoration et un tourment douloureux. Ayons tous la volonté et la détermination de préserver ce jour comme un jour de fête et d’empêcher qu’il redevienne une commémoration. Je suis confiant que nous le pouvons.
« Cela fait des années que le Liban vit au milieu d’une région ravagée par les guerres destructrices, qui avaient commencé par des mouvements de revendications sous des slogans attrayants et prometteurs visant à améliorer les régimes et les rendre plus démocratiques et justes. Mais ils ont aussitôt sombré dans la violence. Des affrontements armés ont éclaté entre les belligérants, fournissant aux puissances étrangères des prétextes pour s’interférer et contrôler le sort des peuples en conflit.
« Les estimations contradictoires par les Libanais des dangers qui menacent le pays, leur volume, leur nature, leur impact sur la société et leurs conséquences ont suscité des réactions différentes et ont cédé la place à des prises de position difficiles et conflictuelles qui ont eu des retombées négatives sur les relations entre les différentes parties. Alors que le Liban tantôt interagissait et tantôt réagissait avec les causes de l’Orient arabe, la surchauffe de l’atmosphère dans la région a presque disloqué l’unité nationale, et les Libanais ont commencé à sentir leur stabilité menacée, surtout avec les capacités limitées des forces armées face à ces dangers imminents. C’est pourquoi, dans cette situation, la consolidation de l’unité nationale devient un besoin urgent et une priorité absolue, car elle protège le Liban, assure sa stabilité et le protège des répercussions de ce qui se produit autour de lui. Cela relève de la responsabilité de tous, responsables et citoyens.
« Libanais,
« Vous vous inquiétez pour votre stabilité, mais vous vous inquiétez aussi pour votre indépendance, car vous sentez qu’elle est constamment menacée et incomplète, en raison des interventions étrangères qui ont toujours fait face aux décisions nationales relatives à votre droit le plus fondamental de choisir vos dirigeants, de pratiquer vos usages démocratiques et même de vous défendre. Nous avons donc l’obligation de fortifier notre indépendance et d’en rétablir la force, c’est-à-dire de s’abstenir de recourir au-« dehors » pour mendier des décisions susceptibles de faire pression sur le pays, afin d’obtenir un avantage privé au détriment de l’intérêt public, et ce quel que soit cet avantage.
« L’indépendance n’est pas seulement une cérémonie qui se tient chaque année, c’est aussi le pouls des cœurs qui battent à chaque claquement du drapeau. C’est l’appartenance à un peuple où chacun partage sa vie avec l’autre, solidaire pour le meilleur et pour le pire, sur une terre qui nous a donné une identité et que nous devons préserver, et non traiter comme une marchandise à vendre sur les marchés extérieurs. Vendre sa terre, c’est perdre son identité. Un peuple sans terre est un réfugié, et un pays sans peuple est un domaine public. Votre terre représente votre identité et votre responsabilité, préservez-la!
« Un pays et un peuple ; telle est la nation que nous avons juré de préserver, d’en respecter la Constitution et les lois, d’en défendre la terre et l’indépendance, d’en protéger le peuple et lui assurer une vie décente. C’est pour ces missions fondamentales qu’ont été créées les institutions qui forment l’État chargé des affaires de la nation et des citoyens.
« Nos institutions ont souffert et souffrent toujours d’une faiblesse accrue due à la mauvaise pratique politique et constitutionnelle. Malgré tous les obstacles, nous avons réussi, au terme de longues souffrances, à conclure un accord qui marque le début d’une nouvelle ère qui favorise le retour aux institutions de l’État. Néanmoins, ces institutions ne peuvent plus renaître si elles ne sont pas modernisées et si leurs méthodes de travail et leurs règles ne sont pas modifiées.
« Libanais,
« Peu importe l’envergure du changement que nous adopterons, les choses ne rentreront pas dans l’ordre à moins de libérer l’élément humain de la culture de la corruption. Cela doit apparaître d’abord dans les attributs moraux des personnes aux plus hauts niveaux de responsabilité, qui doivent constituer des modèles (…)
« Oui, les attributs moraux ont la priorité, puis le travail sérieux et diligent, qui accumule le savoir. C’est avec ces valeurs que nous pouvons purger les esprits de la culture de la corruption, construire une nation et élever notre peuple aux meilleurs niveaux. Les effets de la corruption sont dévastateurs, ils vont du détournement de fonds au gaspillage des deniers publics, jusqu’à entraîner le pays vers la faillite, trahir une nation et la vendre aux enchères. Il est sage de se demander pourquoi la corruption est si endémique. La corruption est-elle imposée uniquement à notre société et à notre pays ? Bien sûr que non ! La corruption fait partie de la nature humaine, mais elle est combattue avec l’éducation, à travers le développement de l’échelle des valeurs et avec le droit par le biais de législations appropriées.
« Libanais,
« Nous avons des frères et sœurs, des citoyens qui vivent dans les régions frontalières, du Nord au Sud, et qui forment le premier bouclier pour la protection du Liban. Nous devons leur accorder une attention particulière, développer leurs villes et villages, développer nos zones rurales, promouvoir les liens qui lient leurs habitants à l’État, consolident l’unité nationale et réduisent la migration terrestre. Une société vivant dans la pauvreté et le besoin est exposée à de dures épreuves, avec la carence sécuritaire et l’agitation sociale qui en découlent. La nation ne vit pas seulement par le biais de ses villes et banlieues surpeuplées, mais plutôt avec une répartition équilibrée de la population sur l’ensemble de son territoire.
« Libanais,
« En dépit des intérêts contradictoires et des divisions profondes qui entourent le Liban, et malgré les tiraillements qui se produisent sur la scène locale et menacent la structure de l’entité et l’unité nationales, notre armée est restée fidèle à sa mission et à la globalité de son serment. Elle a été la force qui s’est révélée être un modèle d’unité et la cohésion d’un peuple. Elle a préservé la stabilité, méritant ainsi la confiance des citoyens qui voient en elle une source de sécurité et de réconfort, une garantie d’unification et de souveraineté.
« Quand les dangers menacent le pays, l’armée reste sa soupape de sécurité et le noyau fort de son unité nationale. Elle provient de tout le territoire et sert tout le territoire, elle vient de tout le peuple et œuvre pour tout le peuple. Elle ne peut en être autrement parce qu’elle est unie à son peuple par le destin et par le sang.
« Ce que notre armée réalise à l’intérieur du pays, elle peut aussi le faire aux frontières si ses capacités techniques sont renforcées, et si elle est entraînée à des méthodes appropriées relatives à des types de combats potentiels auxquels elle peut être confrontée à l’avenir. L’État assume la responsabilité de préparer le personnel et le matériel de l’armée, dans la mesure où les nations ne peuvent être protégées que par leurs propres fils.
« Camarades soldats,
« L’indépendance demeure la plus grande charge qui vous a été confiée. C’est un serment que vous avez pris pour défendre le pays et offrir des sacrifices pour cela, jusqu’au don de soi. N’hésitez jamais à crier: “Ô Liban, toujours prêt à répondre à l’appel” !
« Libanais,
« Je me suis toujours adressé à vous comme au “grand peuple du Liban” parce que je crois à la grandeur d’un peuple qui sort des décombres de sa maison démolie, nettoie son visage de la poussière, retrousse ses manches et se remet de nouveau à poser les pierres. Aujourd’hui, les briques de la nation doivent être posées, et je suis sûr que vos bras, qui n’ont jamais épargné aucun effort durant les temps difficiles , ne seront pas gagnés par la lassitude ou la faiblesse.
« Les espoirs que vous avez placés autour de ce mandat présidentiel sont grands, aussi grands que vos sacrifices, vos souffrances et votre attente. Comme nous avons fait ce chemin ensemble, c’est ensemble que nous le compléterons. Par conséquent, préparez vos biceps parce que le moment est venu de bâtir une nation. Le chantier a besoin de tout le monde et ce sera pour le bien de tous. Vive le Liban ! »