TRUMP : LA PETITE FRAPPE-TWEET !

On parle toujours de « frappes » pour qualifier les bombardements que les pays occidentaux n’ont cessé de multiplier, un peu partout, depuis la fin de la Guerre froide, mais on continue à dire « bombardements » lorsque la Russie et ses alliés ont l’arrogance de faire de même… Pour le coup, c’est bien une « frappe » contre une base aérienne syrienne que le président américain Donald Trump a ordonné dans la nuit du 6 au vendredi 7 avril dernier. Cette décision, qui marque un spectaculaire revirement de la communication trumpienne, intervient deux jours après un « événement » chimique survenu dans la localité de Khan Cheikhoun, aussitôt imputé à l’armée syrienne. A l’aune de cette précipitation de l’homme le plus puissant de la planète qui tweet plus vite que son ombre, prochetmoyen-orient.ch vous propose cette semaine un Editorient à quatre mains, celles de Richard Labévière puis de Guillaume Berlat

La rédaction

TRUMP : LA PETITE FRAPPE-TWEET !

De sources militaires autorisées, nous pouvons confirmer que Washington a bien averti Moscou du choix de sa cible syrienne et du créneau horaire de son opération. Les militaires russes auraient alors aussitôt affranchi leurs alliés syriens ayant pu ainsi évacuer l’essentiel de leurs matériels et de leurs personnels. Vu le résultat de l’opération, les experts ajoutent que « la tête des 59 missiles engagés ont, sans doute, été allégées afin de restreindre leurs effets destructeurs ». Autrement dit, cette frappe-tweet relève davantage du simulacre et de la communication. Sur le fond de la guerre civilo-syrienne et du sort des populations civiles, elle ne change rien et ne règle rien. Son objectif est ailleurs…

Ailleurs : cet enchaînement d’événements précipités nous conduit à proposer six remarques. La plus immédiate, la première tombe sous le sens : vérité et signification des faits ? Dès l’annonce de « l’attaque chimique », nous avons consulté les meilleurs spécialistes français des armes chimiques, notamment plusieurs officiers supérieurs qui enseignent à l’Ecole de guerre. Constat unanime : trop tôt, trop vite, trop affirmatif pour conclure à une attaque aérienne délibérée à l’arme chimique ou au bombardement d’un site abritant des stocks de composants chimiques. En cette matière, la procédure la plus rationnelle consiste à saisir les experts de l’OIAC (Organisation de l’interdiction des armes chimique)1, afin que celle-ci ouvre une enquête et remette ses conclusions au Conseil de sécurité des Nations unies. Ensuite, il revient à l’instance exécutive de l’ONU de décider s’il faut ou non recourir à l’article VII de la Charte des Nations unies pour autoriser ou non l’usage de la force. Par conséquent, notre premier constat est sans appel : la frappe-tweet du président des Etats-Unis est parfaitement illégale au regard du droit international, comme il est tout aussi hallucinant de voir la Grande Bretagne et la France – toutes deux membres permanents du Conseil de sécurité – cautionner et applaudir ce bombardement-ingérence.

Notre deuxième remarque relève davantage de la phénoménologie qui caractérise et oriente l’air du temps. Monsieur Trump nous dit qu’il a pris sa décision de bombarder une base syrienne après avoir été bouleversé par les images qu’il a pu voir… La belle affaire ! Voilà qui n’est pas très rassurant d’apprendre que l’homme le plus puissant de la planète prend ses décisions en fonction d’images qu’il voit ou ne voit pas ! Rappelons seulement ce constat imparable de Guy Debord, dressé dans son maître-livre La Société du spectacle2 : « L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir… C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout ». Dans cette logique, s’il n’y pas d’image, il n’y a pas d’action, d’où la toute puissance des images ! A l’heure de la post-vérité, on met le pied dans toutes sortes de machineries, de simulacres, sinon de propagande.

Dans le genre « rien appris, rien oublié », Isabelle Lasserre du Figaro en remet une louche3 : « en août 1995, un obus de trop tiré par les forces serbes contre le marché de Markale à Sarajevo avait fait basculer la guerre de Bosnie ». L’auteur de ces lignes était sur place. Comme plusieurs confrères, il était alors arrivé aux mêmes conclusions qu’un rapport de l’ONU aussitôt enterré : le tir n’était pas serbe mais provenait bien d’une position bosniaque. Triomphe de la société du spectacle : les milices bosniaques ciblaient délibérément leur propre population sur le marché de Markale – pour la deuxième fois – afin de faire « basculer » la communauté internationale de leur côté. Les précédents ne manquent pas, du « massacre » des enfants de Timisoara à l’enchaînement médiatisé des mensonges d’Etat sur les armes de destruction massive irakiennes et les liens inventés entre Saddam Hussein et Oussama Ben Laden. Effectivement : rien appris, rien oublié !

Troisième constat : la frappe-tweet de Donald Trump répond à une logique de Shérif. Celle-ci commande elle-même trois postures obligées : montrer ses « biscotos » – on est quand même la première puissance du monde, ne l’oubliez-pas ! – ; on agit seul de manière unilatérale et sans concertation avec personne ; enfin, on se dit prêt à recommencer ! Dans tous ces cas de figures de démonstration virile – destinée à flatter une base électorale qui attend et redemande ce genre de postures -, il s’agit de renouer avec un langage de force. Et sur ce point, il se pourrait bien que les commentateurs se soient largement fourvoyés : l’Amérique de Trump n’est pas isolationniste comme on le pense ! Elle veut incarner à nouveau l’hyperpuissance mondiale des années Reagan : l’Amérique est de retour et Trump veut montrer qu’il fait ce qu’Obama n’a pas eu le courage de faire en septembre 2013, après un « événement » chimique survenue dans la Ghouta (banlieue de Damas), également attribué à l’armée syrienne, même si depuis, plusieurs rapports des Nations unies l’ont contesté… Malheureusement, ce come-back hollywoodien ne va pas réellement dans le sens d’une amélioration des choses, sinon d’un règlement de la guerre civilo-globale de Syrie. En effet, en quoi la frappe-tweet de Trump améliore-t-elle la situation de la population syrienne ? Il est à craindre qu’on s’achemine vers le même type de scénario en Corée du Nord !

Quatrième constat : et après ? Les rebelles salafos-jihadistes sont très contents et applaudissent des deux mains appelant de leurs vœux ces bombardements depuis plusieurs années. Ce n’est pas une surprise et l’on pourra relire avec le plus grand profit l’opuscule remarquable d’Arundhati Roy – Oussama Ben Laden, secret de famille de l’Amérique4 – dans lequel l’écrivaine indienne nous rappelle comment et pourquoi les Etats-Unis ont joué et continuent de jouer la carte de l’Islam radical afin de promouvoir leurs intérêts économiques dans le monde depuis la signature avec l’Arabie saoudite du Pacte du Quincy (13 février 1945). En effet, Washington a toujours favorisé le développement et l’expansion du wahhabisme et de l’idéologie des Frères musulmans – les deux matrices idéologiques du terrorisme islamiste contemporain -, alliés essentiels du redéploiement des intérêts américains, non seulement aux Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Asie, en Afrique, ainsi qu’en Europe. Washington continue à vouloir la destruction des régimes qui ne leur sont pas favorables !

Cinquième constant : le résultat de la frappe-tweet est bien de créer les conditions préoccupantes d’une escalade avec la Russie qui ne pourra pas ne pas réagir. Vladimir Poutine, qui a tellement investi dans le nouveau glacis russe au Proche-Orient, a aussitôt fait interrompre la coordination militaire qui prévalait jusqu’à maintenant entre planificateurs américains et russes concernant les opérations engagées en Syrie ! Moscou a également rappelé que l’aéroport ciblé était celui qui servait à monter les opérations les plus décisives contre l’organisation « Etat islamique » et que c’est en décollant de sa piste que les avions syriens avaient pu appuyer la reprise du site historique de Palmyre. A l’évidence, Washington ne veut pas s’entendre avec Moscou sur les priorités et les modes d’action de la lutte anti-terroriste. Bien au contraire, le dernier attentat commis à Saint-Pétersbourg renforcera la détermination de Moscou à éradiquer le terrorisme jihadiste en Syrie, pour éviter qu’il ne contamine de nouveau l’ensemble du Caucase. Les intérêts de Moscou et de Washington sont, depuis le départ, parfaitement contradictoires et, si ce n’est déjà le cas, pourraient générer une nouvelle Guerre froide toute aussi dangereuse que la précédente.

Et pour faire bonne mesure, Trump a affirmé s’être adressé « à toutes les nations civilisées pour stopper le massacre en Syrie… » Dans le genre « civilisé », le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en a profité pour se réjouir de la frappe-tweet, estimant qu’elle constitue un bon avertissement à l’Iran… Vieille petite musique des deux mandats de Georges W. Bush : le bien contre le mal, la civilisation contre la barbarie, ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ! Totalement inadaptée à la complexité du monde, cette dualité puérile n’a pas atténué la menace terroriste : elle l’a confortée, aggravée et installée au cœur même des mécanismes de la mondialisation économique et stratégique5.

Enfin, sixième constat : la petite frappe-tweet de Donald Trump remet l’Amérique dans les tendances lourdes de son immuable logique : la fabrique d’un ennemi garant de la reproduction de ses intérêts. Le 11 novembre 2016, prochetmoyen-orient.ch écrivait : Trump, tout changer pour que rien ne change ! La frappe-tweet de Trump rompt avec l’une des intentions de campagne du nouveau président des Etats-Unis : tendre la main à la Russie de Poutine ! A l’époque cette orientation avait fait aussitôt chuter la bourse et flipper nombre de cadres du complexe militaro-industriel américain, parce qu’après l’effondrement du bloc soviétique, la fabrication d’un nouvel ennemi double – le terrorisme et la Russie de Poutine – garantit des millions d’emplois et des milliards d’investissements et de profits.

« Nous assistons à la néo-militarisation de l’économie et à la privatisation du warfare auxquelles donne lieu l’économie de guerre à durée indéfinie de la Guerre froide. C’est la clé de ‘la puissance pour le long terme’ : Private business must run the Cold War’s business. Et pour parler encore la langue des vainqueurs qui n’écrivent pas l’histoire sans donner aussi leurs intitulés à de nouvelles ‘sciences’ : pas de logistique du business (business logistics) sans le business de la logistique, de la militarisation intensive de la société de contrôle par la consommation »6. En effet, il était inconcevable pour beaucoup de milieux d’affaires américains que Donald Trump puisse tendre la main à Vladimir Poutine. Au-delà de toutes considérations politiques et morales, la pérennisation du vieil ennemi russe reste une nécessité absolue de la poursuite des affaires. Par conséquent, on ne peut parler normalement avec Moscou au risque de désespérer Wall Street, la City et les lobbies de Bruxelles.

Enfin et pour ne pas conclure : comment ne pas songer à la dernière bavure très meurtrière de Mossoul, aux victimes collatérales des drones américains qui confondent fêtes de mariage et rassemblements terroristes ? Comment ne pas brandir aussi les autres centaines de victimes innocentes d’un Yémen bombardé tous les jours par la chasse saoudienne avec l’aide des radars, des drones et du ravitaillement américains ? Les images sont-elles parvenues au président Trump tellement émotif qu’il en oublie de se rappeler ce qu’a pu faire l’armée de son pays en tuant des femmes et des enfants : au Chili, en Argentine, en Colombie, à la Grenade, à Panama-City, à Belgrade, en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Libye et ailleurs ?

Dans ce contexte d’une frappe-tweet désastreuse, comment aussi ne pas être admiratif de ce qu’essaient de faire les Nations unies et son courageux représentant spécial à Genève Staffan de Mistura ? Oui, et n’en déplaise aux journalistes pressés et/ou ignorants, l’ONU cherche une sortie de crise en Syrie, assumant ainsi le travail diplomatique le plus difficile du monde pour mettre fin à un conflit civilo-global dont dépend l’instauration d’un nouveau Yalta – qui conditionnera les relations internationales pour les prochaines décennies. Oui, merci à vous Staffan de Mistura et à votre équipe, grand merci et soyez assurés du soutien des êtres libres qui connaissent bien la Syrie et le fonctionnement des Nations unies !

On ne saurait refermer ces lignes sans adresser un coup de chapeau à nos confrères de La Stampa – ils nous changent des chiens de garde de la presse parisienne – qui, au lendemain de l’ « événement » chimique de Khan Cheikhoun ont osé poser la bonne question : dans le contexte actuel qui leur est particulièrement favorable, pourquoi les autorités syriennes auraient-elles eu recours – maintenant – à l’arme chimique ? Pourquoi les responsables syriens auraient-ils délibérément fragilisé leurs dernières reconquêtes territoriales et les avancées diplomatiques d’Astana et de Genève ? Autrement dit, à qui profite ce dernier « événement » chimique ? On peut douter que ce soit au gouvernement syrien !

Richard Labévière

ARMES CHIMIQUES : LA RENGAINE DES GRANDS PRINCIPES
« Appuyez-vous toujours sur les principes, ils finiront bien par céder » (Talleyrand). Un retour sur le présent s’impose, d’abord, pour mieux juger de la pertinence de cette maxime du maître incontesté de la diplomatie à la lumière des faits, dans le cas d’espèce l’attaque chimique attribuée au régime de Damas et des représailles militaires américaines. Il importe, ensuite, de s’attarder sur les réactions dans le monde, et plus spécialement en France. Il convient, par ailleurs, d’apprécier cette affaire au regard du droit international. Il faut, enfin, s’interroger sur les conséquences stratégiques éventuelles de ces frappes américaines.

LES FAITS : ATTAQUE ET CONTRE-ATTAQUE

Donald Trump décide, dans la nuit de jeudi 6 à vendredi 7 avril 2017, de lancer une opération militaire en Syrie. Cinquante-neuf missiles tirés depuis deux navires détruisent une base aérienne syrienne, en réponse à l’attaque chimique du 4 avril attribuée au régime de Damas7. Washington justifie ses frappes pêle-mêle par « l’intérêt vital de la sécurité nationale » ; la nécessité de ne pas « rester aveugle » ; le « manquement par Moscou de ses responsabilités en Syrie » ; les « actes odieux du régime syrien » ; « l’affront à l’humanité » qu’est la mort d’innocents ; les preuves que détiendraient les Services américains et occidentaux que l’armée syrienne est responsable de l’attaque chimique de Khan Cheikhoun ; la limitation de la capacité syrienne à utiliser des armes chimiques…8. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Il est intéressant d’analyser les réactions qu’elles ont suscitées.

LES RÉACTIONS : ENTRE APPROBATION ET CONDAMNATION

Pendant que les alliés occidentaux de Washington (les éternels idiots utiles), à l’exception de la Suède, applaudissent des deux mains ces frappes salvatrices, Vladimir Poutine dénonce « l’agression contre un pays souverain » tout en réclamant une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. De son côté, Téhéran « condamne vigoureusement » cette frappe que « soutient complètement » Ryad comme Tel Aviv.

Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault déclare le 4 avril 2017 : « L’utilisation des armes chimiques constitue une violation de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) et un nouveau témoignage de la barbarie, dont le peuple syrien est victime depuis tant d’années ». Le 7 avril 2017, il se félicite des frappes américaines et du « signal et de l’avertissement qui avait été envoyé et d’une forme de condamnation du régime criminel de Bachar Al-Assad ». Cette déclaration est à mettre au regard du bilan de son action diplomatique présenté le 23 mars 2017 dans lequel il souligne les principes sur lesquels se fonde l’action de la France : principes de paix, de prééminence de l’action collective et du multilatéralisme, de construction d’une gouvernance mondiale… 9. Pour le cartésien que nous sommes, c’est tout le contraire ! Hier zélateur inconditionnel du multilatéralisme, notre pays en est aujourd’hui son meilleur fossoyeur.

Plus intéressante est la réaction de la candidate du Front national à l’élection présidentielle. « Je suis un peu étonnée, parce que (le président américain Donald) Trump avait indiqué à plusieurs reprises qu’il n’entendait plus faire des Etats-Unis le gendarme du monde, et c’est exactement ce qu’il a fait hier », a déclaré Marine Le Pen. « Est-ce que c’est trop demander d’attendre les résultats d’une enquête internationale indépendante avant d’opérer ce genre de frappe ? », s’est-elle interrogée. « Ce que je voudrais, c’est qu’on ne retrouve pas le même scénario que celui qu’on a pu voir en Irak, en Libye, qui, en réalité, sont des processus qui ont entraîné le chaos, qui ont fini par conforter le fondamentalisme islamiste » et le terrorisme, a-t-elle ajouté. « Ce qui s’est passé est épouvantable, je le condamne de la manière la plus claire qui soit mais est-ce qu’on peut attendre d’avoir les résultats d’une enquête internationale ? », a-t-elle demandé10. Force est de constater que toutes ces questions sont pertinentes au regard de la théorie et de la pratique du droit international. Il est regrettable qu’elles ne viennent pas de ses concurrents.

LE DROIT INTERNATIONAL : UNE VIOLATION FLAGRANTE

Qu’on le veuille ou non, la frappe aérienne américaine constitue une violation flagrante du droit international sur l’usage de la force. Comment les Américains pourraient-ils justifier cette action au titre de la légitime défense, prévue à l’article 51 de la Charte de l’ONU ?11 Comment pourraient-ils faire état d’une quelconque autorisation du Conseil de l’ONU alors que le débat était en cours à New York ? Comment pourraient-ils anticiper les résultats d’une enquête internationale diligentée par l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC basée à La Haye), seule habilitée à la conduire en application de la Convention d’interdiction des armes chimiques de 1993 à laquelle la Syrie n’a adhéré qu’en 2013 ? Comment pourraient-ils se fonder sur les seules affirmations des Services de renseignement américains et occidentaux (lesquels ?) pour apporter la preuve irréfragable de l’implication du régime syrien alors même que nous avons à l’esprit les « bobards » de ces mêmes Services à propos de la présence d’armes de destruction massive en Irak ?

Au regard du droit international, l’action américaine ne peut trouver aucune justification si ce n’est son illégalité. Elle se situe dans une logique de non-droit international qui pourrait avoir de fâcheuses conséquences sur d’autres dossiers. Comme son collègue britannique, l’ambassadeur de France à l’ONU juge ces frappes « légitimes »12. Il serait grand temps de renvoyer ce haut diplomate à ses chères études comme, du reste, son sémillant collègue de Washington. Il ignore vraisemblablement que la France est dépositaire du Protocole de Genève de 1925 sur l’usage des armes chimiques et a pris une part non négligeable dans la négociation et la conclusion de la Convention de 1993 (rôle prépondérant de l’ambassadeur, représentant de la France auprès de la Conférence du désarmement à Genève, Pierre Morel à l’époque).

LES CONSÉQUENCES STRATÉGIQUES : UN RISQUE DE DÉFLAGRATION ?

Bien que ces frappes soient présentées comme ciblées, leurs conséquences diplomatiques et stratégiques sont encore incertaines et cela à plusieurs niveaux. Tout d’abord, au Proche et au Moyen-Orient ne risque-t-on pas de contribuer à enclencher une spirale de la violence dont on ne sait où elle peut nous conduire (Cf. Libye) ? Ensuite, est-il opportun d’ajouter de la méfiance à la méfiance dans la relation américano-russe au moment où il est essentiel de dialoguer avec tous et de faire baisser la tension en Europe ?13 Enfin, que pourrait faire Donald Trump en Corée du nord au moment où il presse la Chine de modérer les élans de Pyongyang sous peine d’aller mettre, manu militari, de l’ordre sur place ?14 Toutes ces questions ont-elles été sérieusement envisagées dans les chancelleries occidentales avant d’applaudir des deux mains, dans la plus grande précipitation, à ce coup de semonce américain, à cette frappe « diplomatique » et « médiatique » ?

« Elle aussi avait ses phrases types
Et me parlait de ses grands principes
Puis n’agissait n’importe comment
En vertu des grands sentiments »,

chantait déjà en 1999 Guy Béart. C’est bien ce que font tous nos sympathiques dirigeants politiques tant est grand le décalage entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font (ou ne font pas) sur le dramatique dossier syrien. À suivre…