En Australie ou en Nouvelle-Zélande, le ministre des Affaires étrangères, en tournée auprès des émigrés d’origine libanaise, gardait un œil, ou plutôt une oreille, sur Beyrouth. Une fois ses multiples rencontres terminées, tard en soirée, il entamait une série de coups de fil avec les différents protagonistes libanais (en raison du décalage horaire, c’était la journée au Liban), ainsi qu’avec le chef de l’État, au sujet de la loi électorale. Loin ou au Liban, rien ne change en fait pour lui. À peine rentré d’Australie, il a immédiatement entamé des entretiens avec les représentants du Hezbollah, du courant du Futur et de son propre parti pour tenter une fois encore de trouver une formule électorale qui satisfasse les parties concernées.
Infatigable, Gebran Bassil écoute les réserves émises par un camp ou l’autre et cherche à les lever, sachant que sa volonté de parvenir à une nouvelle loi a pour point de départ la campagne menée par le général Aoun avant l’élection présidentielle pour redonner leurs droits aux chrétiens et leur permettre de choisir leurs députés alors que dans les lois qui se sont succédé depuis Taëf, ils ne choisissent que 17 députés chrétiens sur 64. À ceux qui l’accusent de faire preuve de fanatisme chrétien, Gebran Bassil répond que le CPL préfère un système laïc, mais est-il réalisable dans le contexte actuel ? L’idée de permettre aux chrétiens d’avoir une meilleure représentativité au Parlement ne vise pas à radicaliser les positions et à aiguiser les sentiments confessionnels. Dans son optique, il s’agit simplement de donner aux chrétiens, qui sentent que leur rôle se réduit dans l’ensemble de la région, qu’ils sont des partenaires à part entière dans le système politique. Il n’est donc pas question de prendre les droits des autres ou d’éliminer qui que ce soit, mais de permettre aux chrétiens de s’épanouir au Liban pour qu’ils y restent, d’autant que leur présence est complémentaire de celle des autres composantes du pays. Au cours d’une de ses rencontres avec les émigrés d’origine libanaise en Australie, Gebran Bassil a d’ailleurs expliqué que s’il est si ému en les voyant, c’est parce qu’il craint qu’un jour ses enfants, voire ses petits-enfants, n’en fassent partie…
Les projets électoraux qu’il a conçus et soumis aux autres parties politiques tiennent donc compte de ce souci, qui est presque une obsession. Ils ne sont pas dirigés contre les autres communautés ou partis, mais se veulent donc en faveur de la consolidation de la présence chrétienne.
Toutefois, jusqu’à présent, il n’a pas réussi à obtenir l’adhésion des autres composantes politiques du pays à son idée.
Pourtant, nul n’ignore que le temps presse et que ce dossier particulièrement délicat risque de provoquer une crise au sein du pouvoir, puisque les délais constitutionnels deviennent de plus en plus pressants.
Actuellement, les projets présentés par Gebran Bassil sont les seuls discutés sur la table et ils se heurtent essentiellement à l’opposition du tandem chiite Amal-Hezbollah qui veulent une loi basée sur le mode de la proportionnelle intégrale, quitte à être plus coulants sur le découpage des circonscriptions. Dans l’optique du Hezbollah, le contexte est actuellement favorable à l’adoption d’une loi basée sur ce mode de scrutin, qui permet la représentation au Parlement du plus large éventail de forces politiques, de toutes les communautés. Ce qui devrait être de nature à consolider la stabilité du pays puisqu’il n’y aurait plus d’exclus et, en même temps, l’hégémonie d’une partie sur une confession serait atténuée (y compris chez les chiites). De leur côté, les Forces libanaises veulent à tout prix une loi mixte qui introduise un peu de proportionnelle, mais reste essentiellement basée sur le système majoritaire. Le projet de Gebran Bassil peut leur convenir. Après maintes hésitations, le courant du Futur a fini par accepter l’idée d’introduire la proportionnelle dans la loi électorale, à condition de ne pas perdre trop de députés. Ayant actuellement un bloc parlementaire de 35 députés, il a déclaré dans le cadre des négociations qu’il n’acceptera pas une loi qui lui assurerait moins que 27 députés. Plus précisément, il refuse de perdre des sièges sunnites, alors que c’est justement ce que veut le Hezbollah. C’est un peu la même situation chez le leader druze Walid Joumblatt, qui ne veut pas que son bloc comprenne moins de 11 parlementaires et il veut continuer à être celui qui choisit les druzes.
En dépit du temps qui presse, les positions restent jusqu’à présent inchangées. Mais Gebran Bassil ne désespère pas de parvenir à trouver des solutions, car rien n’est plus éloigné de son caractère que le fait de céder face aux obstacles. Pendant son périple en Océanie, il savait qu’à son retour au Liban, une situation difficile l’attendait, le CPL refusant tout report technique des élections législatives s’il n’y a pas un accord sur une nouvelle loi électorale. Lundi, le dossier sera entre les mains du Conseil des ministres, où certaines parties envisagent de recourir au vote. Mais les protagonistes ont tout le week-end pour poursuivre leurs négociations…