En dépit de la cohésion et de la cohérence inhabituelles de la position officielle du gouvernement au sujet du dossier des réfugiés et en dépit des nombreux contacts établis par le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères à New York, le Liban n’a pas réussi à obtenir l’appui de la communauté internationale pour sa proposition d’un retour d’une partie des réfugiés syriens chez eux.
Pourtant, cette année, le Liban avait peaufiné son dossier et il avait proposé une idée concrète qui dépasse le concept précédent « d’aider les Libanais en même temps que les déplacés syriens » pour aller jusqu’à l’idée du retour. Mais il n’a pas reçu une oreille favorable.
La proposition officielle libanaise ne manque pourtant pas de logique. Elle consiste à rappeler que le Liban ne peut plus accepter un plus grand nombre de déplacés. Même ceux qui sont déjà là constituent un poids qu’il ne peut plus assumer, sur tous les plans, notamment économique, politique et sécuritaire. D’ailleurs, en plus du fait que la plupart des « réseaux terroristes » démantelés par les services de sécurité libanais sont souvent formés d’un grand nombre de Syriens, les incidents se multiplient entre les résidents libanais et les déplacés syriens dans la plupart des régions, de Sarba à Aramoun et jusqu’au Sud et au Nord. Les rixes ne se limitent plus à des échanges de coups entre jeunes frustrés, elles sont en train de se transformer en incidents sécuritaires avec usage d’armes légères. Il y a quatre ans, lorsque de telles possibilités étaient évoquées, des voix s’élevaient pour dénoncer le racisme et la discrimination. Aujourd’hui, le malaise entre les Libanais et les déplacés syriens est devenu généralisé et risque même de se développer au point de devenir une menace pour la stabilité sociale et sécuritaire. La crainte des conséquences de la présence syrienne sur la situation libanaise n’est donc plus une vue de l’esprit, mais une réalité qui unit tous les Libanais, quelles que soient leurs appartenances religieuses ou politiques. C’est pourquoi le gouvernement, qui a toujours fait preuve d’une grande prudence dans l’approche du dossier des déplacés, a décidé d’évoquer un plan de retour progressif dans les régions syriennes épargnées par les combats ou sécurisées. Après tout, la Turquie a bien commencé à ramener les déplacés syriens qui s’étaient réfugiés sur son territoire à Jarablous, depuis qu’avec l’aide de factions de l’Armée syrienne libre (ASL) elle a « libéré » cette ville des terroristes, mais surtout des forces kurdes. La Turquie n’a d’ailleurs pas demandé l’autorisation de la communauté internationale pour entamer ce processus de retour. Si elle a des objectifs politiques à travers cette opération, notamment modifier la démographie syrienne à ses frontières, nul ne lui en a tenu rigueur. De même, dans la région de Palmyre, l’Onu a parrainé un début de retour des déplacés à l’intérieur de la Syrie vers cette zone désormais sécurisée et nul n’a trouvé à y redire. Pourquoi, dans ce cas, le Liban, qui est aujourd’hui menacé de troubles sociaux et sécuritaires, ne pourrait-il pas réclamer le déclenchement d’un processus similaire, selon un agenda qui pourrait s’étaler sur plusieurs années pour limiter les risques ?
La démarche n’a rien de raciste ni de discriminatoire : elle ne vise qu’à protéger les Libanais et les Syriens. Et comme le Liban officiel refuse d’en discuter directement avec le régime syrien, il a donc choisi de recourir à la communauté internationale et à l’Onu en particulier pour prendre en charge la supervision d’un tel processus. Mais en dépit de toutes ces précautions, le Liban s’est heurté à un refus « diplomatique ». Comme si un mot d’ordre leur avait été donné, les différentes chancelleries occidentales ont avancé les mêmes arguments, selon lesquels l’instabilité continue de régner en Syrie et on ne peut pas faire confiance au régime qui vise régulièrement les civils. Il n’y a donc pas de zones à l’abri des combats en Syrie et on ne peut pas mettre en danger la vie des réfugiés qui ont déjà tellement souffert du déplacement, de l’exode et de l’insécurité. Pour ces motifs, l’idée du Liban ne peut pas être retenue et ce pays, qui « a déjà fait preuve d’un immense sens de l’hospitalité et de beaucoup de générosité », selon les formules utilisées, doit donc continuer à accueillir les déplacés syriens pour le bien-être de l’humanité, et surtout celui de l’Occident. En effet, contrairement à leurs principes de solidarité, les pays occidentaux, pour diverses raisons, ne veulent accueillir qu’un nombre précis de réfugiés syriens. En même temps, ils rejettent l’idée de leur retour par étapes en Syrie, pour ne pas donner une carte au régime syrien qui sortirait gagnant d’un tel processus puisqu’il devrait se concrétiser dans les régions qu’il contrôle. La priorité est donc de ne pas permettre au régime de Damas de marquer des points, tout en évitant de susciter des troubles sur leurs propres territoires. Si le Liban doit subir les conséquences de cette double exigence, ce n’est plus une priorité pour la communauté internationale. Celle-ci estime qu’elle fait de son mieux pour contribuer à maintenir la stabilité au Liban, mais ces efforts ne sont pas sans contrepartie. En échange, le Liban doit garder les déplacés syriens sur son territoire… jusqu’à ce que sonne l’heure de régler le conflit syrien.