«Le confessionnalisme, c’est aussi de la corruption» : au Liban, un parti veut changer le système

Les militants de Sabaa réalisent le signe V lors du lancement de la campagne du parti, intitulée « Le sourire d’une nation » (page Facebook de Sabaa)

Face à la corruption endémique et à une classe politique qui peine à se renouveler, le parti Sabaa, nouveau challenger politique, entend bien saisir l’opportunité des élections législatives en mai prochain pour replacer le citoyen au cœur de la démocratie libanaise

Particulièrement critiqué au moment de la crise des ordures en 2015, de nouveau remis en cause avec l’affaire Hariri, le système politique confessionnel libanais est accusé par de nombreux mouvements citoyens de favoriser la corruption et l’ingérence des puissances régionales.

Parmi eux, Sabaa, un nouveau parti qui se présente comme une alternative crédible face aux rouleaux compresseurs des forces politiques traditionnelles, loin des clivages confessionnels. Son mot d’ordre : replacer le citoyen au cœur de la démocratie libanaise.

La formation tire son nom du chiffre 7 en arabe, représenté par un V. Symbole de victoire ou référence peace and love, le logo de Sabaa à la couleur mauve flashy veut marquer une nouvelle identité politique : l’aconfessionnalisme.

« Aujourd’hui, beaucoup de partis politiques au Liban sont en réalité des leaderships privés, de véritables propriétés qui se transmettent de père en fils »
– Jad Dagher, secrétaire général de Sabaa

« Le Liban a besoin d’un grand parti qui aille au-delà des sectes », estime Jad Dagher, le secrétaire général de Sabaa. « Aujourd’hui, beaucoup de partis politiques au Liban sont en réalité des leaderships privés, de véritables propriétés qui se transmettent de père en fils », explique-t-il à Middle East Eye lors d’une interview au siège du parti à Badaro, un quartier branché de la capitale libanaise.

Sabaa fait de la lutte contre la corruption et de la mise en accusation des partis traditionnels un de ces thèmes majeurs de campagne. Dans une vidéo didactique à la communication bien rodée, il est expliqué que le Liban n’est pas un pays pauvre mais une terre pillée par sa classe dirigeante depuis la fin de la guerre civile.

Pourquoi faire de la corruption le cœur de son diagnostic ? « Car si les partis politiques eux-mêmes sont des plateformes corrompues, à quoi peut-on s’attendre ? », demande, sceptique, le secrétaire général. « Changer tout le système politique est très difficile. Réformer les partis semble être la voie la plus efficace pour réaliser le changement », assure-t-il.

Le ras-le-bol de l’ingérence étrangère

Pour Sabaa, la corruption n’est pas seulement financière. Elle se manifeste également par « l’allégeance » des partis libanais aux pays étrangers. « Le confessionnalisme qui organise la société libanaise encourage lui-même les allégeances à des puissances extérieures », martèle Jad Dagher. « Le financement étranger de nos partis est la violation flagrante de la souveraineté et de la sécurité nationale », peut-on lire sur l’un des statuts Facebook du parti.

« Le confessionnalisme qui organise la société libanaise encourage lui-même les allégeances à des puissances extérieures »
– Jad Dagher, secrétaire général de Sabaa

C’est en septembre 2016, après la grande vague de contestation survenue lors de la crise des ordures, qu’est fondé Sabaa. Des mouvements citoyens comme Beirut Madinati (« Beyrouth ma ville ») avaient alors émergé pour dénoncer la corruption ambiante.

Jad Dagher refuse cependant de lier directement la création de son parti à cette expérience : « Il n’est pas le prolongement de Beirut Madinati. Bien sûr, la situation du pays nous a poussés à trouver une alternative. Les mouvements de contestation qui se sont déroulés en 2015 face à la crise des ordures ont brisé le mur de la peur et créé la possibilité de parler de la corruption et du désir de changement », explique-t-il.

Mais pour Sabaa, les mouvements non organisés ne sont pas suffisants pour faire bouger les lignes. « Une campagne d’espoir ne fait pas le changement. C’est l’organisation autour d’un parti et le travail sur le long terme qui pourra faire émerger une alternative politique durable », estime-t-il.

Le parti veut défier les partis traditionnels « en s’organisant comme une plateforme moderne mise à la disposition des citoyens », argumente Jad Dagher. « Sabaa n’a pas été conçu pour être dirigé par ses créateurs », précise le secrétaire général.

L’idée des fondateurs était d’apporter des instruments de travail et des principes constitutifs, puis un réseau professionnel et les financements nécessaires pour démarrer. « Les statuts de Sabaa stipulent que le secrétaire général ne peut pas se présenter aux élections. Dans le sens traditionnel de l’égo libanais, c’est un grand challenge », plaisante-il.

« L’ingérence étrangère, c’est aussi de la corruption » (Page Facebook de Sabaa)

Le mouvement mobilise l’argument de la démocratie participative avec un but : préparer les leaders de demain. « À tous les niveaux de l’organigramme, nous sommes en train de préparer nos membres à être de futurs dirigeants à l’échelle municipale, syndicale, parlementaire… », poursuit-il.

« On voit beaucoup d’alternatives dans le pays pour ces prochaines élections, mais nous avons besoin de personnes qui travaillent la politique chaque jour, au sein des syndicats, dans les universités… En cela, nous devons nous inscrire dans la même voie que les partis traditionnels. »

« Les statuts de Sabaa stipulent que le secrétaire général ne peut pas se présenter aux élections. Dans le sens traditionnel de l’égo libanais, c’est un grand challenge »

– Jad Dagher, secrétaire général de Sabaa

Sabaa fait de la culture de la différence un atout politique et marketing, en s’inscrivant par la même occasion dans un mouvement international de contestation. Les références à Podemos ou Bernie Sanders ne manquent pas. Quelques jours après la démission surprise de Saad Hariri dans des conditions obscures, le parti publie une vidéo sur sa page Facebook et reprend le format du spot de Bernie Sanders « TOGETHER » pour exhorter à l’union nationale.

Les Libanais, privés d’élections législatives depuis 2009, seront appelés aux urnes en mai prochain. Après un long blocage institutionnel au cours duquel le parlement libanais a prorogé son mandat à deux reprises, une nouvelle loi électorale a finalement été votée le 16 juin dernier.

Plus question d’un scrutin majoritaire à un tour attribuant la totalité des sièges d’une circonscription à la liste obtenant le plus de voix. Ce nouveau scrutin à la proportionnelle pourrait faire émerger de nouveaux visages en dehors des alliances politiques du 8 et du 14 mars, soutenues respectivement par l’Iran et l’Arabie saoudite. Laissant place à de nouvelles voix dissidentes ? Réponse le 6 mai prochain.