Le français, l’italien et le russe ont constitué un consortium et déposé deux offres distinctes pour deux blocs libanais. Les deux premiers sont déjà très présents dans la région, contrairement à Novatek, qui fait son entrée dans l’Est méditerranéen.
Sans grande surprise, l’appel d’offres pour l’attribution des licences d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore, clôturé le 16 octobre, n’a attiré qu’un seul candidat. Il s’agit d’un consortium composé de deux opérateurs : le géant français Total et l’italien Eni, et d’un non-opérateur, la compagnie russe Novatek. Parmi les cinq des dix blocs de la Zone économique exclusive (ZEE) libanaise qui avaient été ouverts fin janvier par le ministère de l’Énergie, le consortium a soumis à l’Autorité de l’énergie (LPA) deux offres distinctes pour le bloc 4 (au centre) et le bloc 9 (au sud). Contactée par Le Commerce du Levant, la LPA n’a pas souhaité préciser qui de Total ou de Eni mènera le consortium pour chacun des blocs.
De son côté, le ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, s’est félicité dans un communiqué « des résultats positifs de cette première phase d’attribution des licences », en soulignant « l’expérience » et « l’accès aux marchés d’exportation » des candidats, alors qu’en Israël, la clôture des offres a été « reportée à (deux) reprises, sans résultats », a-t-il ironisé.
Pour Mona Sukkarieh, cofondatrice du cabinet Middle East Strategic Perspectives, le fait que des compagnies pétrolières d’un tel calibre aient déposé des offres relève en effet de “l’exploit” pour le Liban, « au regard des nombreux retards et cafouillages qui ont rythmé la procédure de l’appel d’offres », souligne-t-elle.
Ces retards pourraient d’ailleurs expliquer que seules trois compagnies sur les 52 présélectionnées par la LPA se soient manifestées. « Sur les 13 opérateurs présélectionnés, 12 l’avaient été dès 2013. Le processus de l’appel d’offres a été bloqué ensuite pendant plus de trois ans. Les conditions du marché ont changé depuis : les prix du gaz ont baissé entre 2013 et 2017, et plusieurs de ces compagnies ont changé leurs stratégies de développement. L’intérêt pour les blocs libanais n’est donc plus le même », explique-t-on à la LPA. Chaque candidature devait être composée de trois compagnies au minimum, dont une ayant obligatoirement le statut d’opérateur.
Total et Eni sont déjà présentes dans la région. « Eni détient les droits d’exploitation de six blocs dans les eaux chypriotes, dont deux en partenariat avec Total. La compagnie italienne est également présente en Égypte, où elle a découvert l’énorme champ gazier Zohr », rappelle Mona Sukkarieh. Quant à Novatek, « elle fait pour la première fois son entrée dans l’espace Est méditerranéen. Novatek est le premier producteur de gaz indépendant en Russie, actif surtout dans l’Arctique et dans le nord de la Russie. C’est aussi une compagnie avec laquelle Total a noué une alliance stratégique début 2011 », ajoute-t-elle.
Le consortium a fait une offre pour le bloc n° 4 qui n’est concerné par aucun litige frontalier. Mais il a également pris le risque de candidater au bloc n° 9, dont une partie est convoitée par Israël, car il est doté d’un fort potentiel géologique. « Ce n’est pas une première pour Eni et Total dans la région. Les deux compagnies ont présenté une offre et ont remporté les droits d’exploration dans le bloc n° 6 à Chypre, dont une partie est contestée par la Turquie », commente Mme Sukkarieh.
Corruption et environnement
Mais de l’expérience, les compagnies n’en ont pas seulement dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation des ressources gazières. Elles ont également un passif important en matière de corruption, comme le souligne l’Initiative libanaise pour le pétrole et le gaz (Logi). Dans un rapport publié le 11 octobre, l’ONG a retracé l’historique des 52 compagnies préqualifiées au Liban, et évalué leurs pratiques en termes de transparence, de lutte contre la corruption et de respect de l’environnement. Celui des trois entreprises candidates n’est pas exemplaire.
Si toutes affichent sur le site internet leurs politiques de lutte contre la corruption, les faits sont moins glorieux. Eni et Total ont toutes les deux été impliquées dans des affaires de corruption, et fait l’objet de poursuites engagées par le gendarme de la Bourse américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC). Accusé d’avoir versé des pots-de-vin pendant des décennies au Nigeria, à travers notamment des contrats de construction, l’italien a conclu un accord à l’amiable avec la SEC en 2010. Quant au groupe français, il a payé près de 400 millions de dollars pour mettre fin aux poursuites engagées contre lui par les autorités américaines pour des commissions versées afin de pénétrer le marché iranien.
Le rapport de Logi ne mentionne pas d’affaires similaires pour la compagnie Novatek, mais il souligne en revanche l’absence de transparence sur ses actionnaires réels. La société russe ne divulgue pas en effet l’identité de ses bénéficiaires effectifs (Final Beneficiary Owners), contrairement à Total et Eni. Le ministère italien de l’Économie et des Finances et d’autres investisseurs institutionnels sont les bénéficiaires effectifs de Eni. De même pour Total, dont les bénéficiaires effectifs sont des investisseurs institutionnels et quelques-uns de ses employés.
En termes de protection de l’environnement, les trois compagnies publient des rapports sur la durabilité de leurs industries. Cependant, le rapport note que les petites marées noires sont monnaie courante pour les grands opérateurs pétroliers. Logi cite l’exemple de Eni, qui a lui-même rapporté 82 fuites supplémentaires l’année dernière, avec un écoulement total équivalent à 1 159 barils de pétrole en 2016, malgré un investissement de près de 21 millions d’euros dans la prévention de marées noires. Quant à Total, le rapport de Logi cite le Centre de documentation, de recherches et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre) selon lequel le français a été contraint en 2012 de fermer un puits au large de la mer du Nord en raison des fuites de gaz. Logi indique que la quantité de gaz ayant fui et son impact sur la mer demeurent inconnus, mais rappelle que le gaz naturel est principalement composé de méthane et que celui-ci a un impact plus important sur le réchauffement climatique que le dioxyde de carbone. Aucun incident n’a en revanche été signalé pour Novatek.
Les trois compagnies du consortium ne seront néanmoins pas évaluées sur les critères environnementaux ni éthiques, mais sur leurs offres techniques et financières pour chacun des deux blocs. La LPA s’est fixé un délai d’un mois pour évaluer ces offres et envoyer ses recommandations au ministre de l’Énergie. Contrairement aux adjudications publiques organisées dans les autres secteurs, « le nombre d’offres n’est pas déterminant, et chaque offre sera évaluée et présentée au Conseil des ministres si elle est jugée intéressante pour le Liban », avait déclaré César Abi Khalil. Les critères d’évaluation des offres sont définis dans le protocole de l’appel d’offres, inclus dans le décret d’application n° 43. L’offre technique (30 % de la note) concerne les « engagements minimum de travail », que le consortium détermine notamment par l’étendue des études géophysiques qu’il compte mener et le nombre de puits qu’il compte creuser lors des deux phases d’exploration (cinq ans au total). L’offre financière (70 %) est déterminée sur la base d’une équation progressive de partage des revenus, entre l’État et le consortium, mettant en relation une série de variables soumises aux enchères. Ces variables doivent être fixées par le consortium, en fonction du prix du gaz, de sa quantité et des charges.
Après avoir validé les conclusions de la LPA, le ministre devra les soumettre à l’approbation du Conseil des ministres. Pour chacun des blocs, le consortium pourrait être déclaré « vainqueur provisoire ». Le cas échéant, des négociations entre les trois compagnies et le ministre de l’Énergie se tiendront sur le volet technique uniquement. Si elles sont fructueuses, un contrat d’exploration et de production pourra être signé entre les deux parties. Si César Abi Khalil a affirmé qu’il annoncera les résultats de chacune de ces étapes, il ne s’est pas publiquement engagé à publier les conclusions de la LPA ni les contrats finaux.
LES SOUS-TRAITANTS POTENTIELS S’ORGANISENT
En attendant l’attribution des contrats d’exploration et d’exploitation, les sous-traitants potentiels se sont regroupés au sein d’un réseau de professionnels lancé mi-octobre : le Lebanese Petroleum Business Network, LPBN. Son PDG, Élie Daher, vice-président exécutif et directeur du marketing chez United Safety, fournisseur d’équipements de sécurité pour l’industrie pétrolière, a dit vouloir réunir une centaine d’entreprises libanaises souhaitant travailler dans ce secteur qui commence à se développer au Liban. La loi leur accorde un traitement préférentiel : leur offre sera considérée comme égale, même si elle est jusqu’à 10 % plus chère que l’offre d’une entreprise étrangère. La loi impose également un seuil de 80 % d’employés libanais. D’où l’idée de créer un réseau pour former les entreprises, qu’elles soient déjà spécialisées dans les hydrocarbures ou non. Les entreprises de restauration, par exemple, sont bienvenues au sein du réseau