« Si mon grand-père a pu créer un travail florissant il y a plus de 130 ans en Nouvelle-Zélande, nous devons pouvoir aujourd’hui, avec le développement des moyens de communication et celui de la société de consommation, renforcer nos échanges commerciaux. » Le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil a tenu ces propos devant le ministre néo-zélandais du Commerce et les membres du Conseil des hommes d’affaires du Moyen-Orient, qu’il a rencontrés à Auckland. Mais il avait passé la matinée sur les traces de ce grand-père, Gebran Hanna (Bassil), dont l’histoire ressemble beaucoup à celle de nombreux Libanais qui avaient pris le chemin de l’émigration à la fin du XIXe siècle à la recherche d’un avenir meilleur.
Gebran Bassil, qui porte le prénom de ce grand-père qu’il n’a pas connu, décédé en 1950, a été marqué très jeune par la photo jaunie datant de 1908, trônant dans la maison familiale, d’un immeuble que son grand-père aurait fait construire à Auckland. « Si j’ai la bougeotte et si je tiens tellement à m’occuper des émigrés libanais aux quatre coins du monde, c’est sans doute un peu à cause de mon grand-père », sourit-il. Selon lui, en famille, on ne parle pas beaucoup de lui, et c’est pourquoi il a toujours voulu en savoir plus.
Le hasard de ses voyages ministériels lui en a donné enfin l’occasion. Entre deux rencontres avec les responsables néo-zélandais et avec la communauté libanaise, il a trouvé un peu de temps pour retrouver ses racines. Il s’est d’abord rendu à la cathédrale Saint-Patrick où, en principe, son grand-père, qui était venu en Nouvelle-Zélande à l’âge de 14 ans avec ses parents, s’est marié avec une dame nommée Rose, elle aussi venue du Liban. Touché par cette histoire, le curé philippin en charge actuellement de la cathédrale a sorti les registres des mariages, et il a finalement trouvé que les noces avaient été célébrées le 2 mai 1889. Avec émotion, M. Bassil a traversé l’allée principale de la cathédrale avant de s’arrêter devant l’autel où le prêtre a prononcé une prière pour lui, sa famille et le Liban. Selon les registres, les parents de Gebran Hanna lui ont servi de témoins. Avec patience, le curé a donné les informations qu’il a pu trouver et M. Bassil, ému, a confessé qu’il aimerait amener ses enfants pour qu’ils le rencontrent…
Finalement, les différentes informations recueillies ont permis de reconstituer le puzzle, ou au moins d’en définir les contours. Le couple a fait construire un bâtiment de 5 étages qui devait être élégant pour son époque dans ce qui est aujourd’hui le centre d’Auckland. Ce bâtiment garde encore les traces de ses belles années, avec une allure de vieux noble ayant subi un revers de fortune. C’est d’ailleurs désormais un hôtel bon marché, où les toilettes sont communes. Avec curiosité, Gebran Bassil y est entré, allant même jusqu’à vouloir inspecter les chambres. Mais les locataires n’ont visiblement pas trop apprécié, surgissant, en marcel, l’air redoutable…
L’hôtel a été en réalité vendu par le grand-père lorsqu’il a décidé de rentrer au Liban, après avoir divorcé de Rose dont il n’a pas eu d’enfant… Ce qui s’est passé entre eux, on ne le saura sans doute jamais, mais le retour de Gebran Hanna au Liban lui a permis de fonder une nouvelle famille, dont ce petit-fils qui a passé hier des heures à essayer de retrouver ses traces. Parce que dans sa famille, il y a toujours eu l’ombre de ce grand-père qui a réussi si loin du pays, en Nouvelle-Zélande, Gebran Bassil s’est promis de faire de son mieux pour que les émigrants d’origine libanaise gardent leurs liens avec le pays initial. Plus qu’une question politique, démographique ou encore économique, pour lui, c’est une question d’identité nationale.
Chrétiens « maorisés »
Sa visite au musée d’Auckland, et notamment à l’étage consacré aux Maoris, l’a aussi conforté dans son idée de l’importance de l’origine. Prévenus de sa visite, les responsables du musée lui ont organisé une cérémonie d’accueil typique maorie, avec des danses et des chants exotiques qui racontent l’histoire de ce peuple, résident originel de la Nouvelle-Zélande, mais dont le territoire et le pouvoir se sont petit à petit réduits avec l’arrivée des émigrants venus d’Irlande et d’ailleurs. Aujourd’hui, les Maoris ne sont plus que 12 % de la population de Nouvelle-Zélande (à peu près 4 millions pour un territoire immense) qui s’exposent dans les musées, comme s’il s’agissait d’une ethnie en voie de disparition. Certes, en Nouvelle-Zélande, les autorités ont conclu un accord historique avec les Maoris pour préserver leurs droits – sachant que leur langue est la seconde officielle du pays –, mais la dynamique de l’histoire qui les fait passer malgré tout au second plan dans leur pays est une obsession pour M. Bassil, qui craint que les chrétiens du Moyen-Orient ne soient un jour « maorisés ».
À ses interlocuteurs, il a précisé qu’il n’a rien d’un chrétien fanatique, mais ce serait terrible pour le Moyen-Orient si les chrétiens étaient contraints, pour une raison ou une autre, de le quitter. Tous ses efforts visent donc à renforcer leur présence sur place, non pas en antagonisme avec les autres communautés, mais en harmonie et complémentarité. Une idée qu’il a du mal à faire passer aujourd’hui, avec une classe politique qui ne pense qu’aux prochaines élections…