Qui veut déstabiliser le Liban ? La question se pose de plus en plus sérieusement après la multiplication d’incidents sécuritaires divers, un peu partout dans le pays. Les instances internationales continuent de parler d’un « parapluie international » qui protège le Liban, mais depuis les attentats de Qaa, chaque semaine apporte son lot d’incidents.
Bien que les responsables ne cessent de répéter que la situation sécuritaire au Liban est de loin préférable à celle des pays voisins ou même de nombreux pays dans le monde, la réalité est un peu moins rassurante. Non pas seulement parce que des incidents se produisent régulièrement dans la plupart des régions du pays – ce qui serait compréhensible, même sans la présence d’un si grand nombre de déplacés syriens et de réfugiés palestiniens – mais surtout parce que ces incidents sont souvent le reflet ou la concrétisation d’un climat politique malsain, où chaque dossier se transforme en sujet de polémique.
Depuis quelques jours, le dossier explosif du camp de Aïn el-Héloué a été rouvert et c’est actuellement la course entre les tentatives de contenir les conflits en les empêchant de s’étendre à Saïda et ses environs et la détermination de certaines parties dans le camp, notamment les groupes extrémistes proches de l’État islamique et d’el-Qaëda, à provoquer des affrontements pour mettre la main sur le camp et à l’utiliser ensuite comme base d’action pour tout le Liban. L’ouverture du dossier de Aïn el-Héloué n’est pas anodin, sachant que ce camp n’a pas seulement la plus forte concentration de combattants potentiels au Liban, mais de plus, il est situé à proximité de la route côtière qui relie le sud du Liban, fief du Hezbollah, à la capitale et à sa banlieue sud.
On se souvient à cet égard de l’épisode du cheikh Ahmad el-Assir, qui avait réussi pendant quelques mois à placer la « portière de Saïda » sous son contrôle, menaçant ainsi les déplacements du Hezbollah, de ses partisans et de sa base populaire entre la capitale et le Sud. Le Hezbollah avait alors eu la sagesse de rester à l’écart, laissant l’armée faire face à ce fauteur de troubles qui avait essentiellement recruté ses partisans au sein du camp de Aïn el-Héloué. Ahmad el-Assir est donc tombé dans le piège en attaquant l’armée et en l’obligeant ainsi à réagir et à mettre un terme à son pseudo-mouvement de protestation.
Aujourd’hui, il est toujours en prison et son procès est en cours, et il y a peu de risques qu’un de ses partisans puisse suivre son exemple. Mais cela ne signifie pas que la tentation, pour certains groupes, de créer des troubles sur la route côtière menant vers le Sud a totalement disparu. La menace persiste donc, en dépit des accords conclus entre les services de renseignements libanais et la plupart des factions palestiniennes pour éviter tout débordement des conflits en dehors du camp.
Un autre dossier qui menace la stabilité du Sud a fait récemment son apparition à Chebaa. Les autorités locales dans ce bourg souhaitaient ouvrir un hôpital avec des financements venus des pays du Golfe. Mais le Hezbollah présent en force dans la région aurait poussé ses alliés dans la bourgade à refuser une telle ouverture, craignant que cet hôpital ne soit utilisé pour soigner les combattants de l’opposition syrienne présents de l’autre côté de la frontière, au pied du mont Hermon, et qui peuvent s’introduire facilement en territoire libanais par les nombreux passages clandestins de cette région montagneuse. Le Hezbollah ne veut pas en effet que les combattants syriens, sous couvert de se faire soigner, s’installent à Chebaa et ses environs, qui sont des localités dont la population est à majorité sunnite.
Dans le même contexte, les incidents continuent à se multiplier dans le jurd de Ersal entre l’armée libanaise et le Hezbollah d’une part et les combattants de l’opposition syrienne de l’autre, sachant que le Hezbollah n’hésite plus à revendiquer ses opérations dans ce secteur, alors que jusqu’à présent, il restait discret en raison de la proximité des positions de l’armée libanaise.
Enfin, le Nord est lui aussi le théâtre d’incidents suspects. Mouïn Merehbi, député du Akkar, avait déclaré récemment qu’il y avait dans ce secteur près de 800 sympathisants de Daech. Cette déclaration pourtant stupéfiante n’avait pas suscité une vague de réactions, mais l’affaire des bateaux en provenance de Turquie arrêtés hier par l’armée libanaise au port de Tripoli ravive les inquiétudes sur l’existence d’un plan pour déstabiliser le Liban. L’armée aurait en effet reçu des informations sur des cargaisons douteuses d’armes à bord de ces bateaux et elle aurait entrepris de les soumettre à une fouille stricte non seulement pour connaître le contenu des cargaisons, mais aussi pour découvrir leur destination finale…
Du Nord au Sud, en passant par la Békaa, le Liban est ainsi dans le collimateur des groupes terroristes qui n’ont certes pas la possibilité d’agir ouvertement grâce à la vigilance de l’armée et des différents services de sécurité. Mais les polémiques politiques peuvent permettre à ces groupes de se faufiler à travers les brèches de la division et des conflits confessionnels. Tant que l’EI et ses semblables avaient un grand espace en Irak et en Syrie, le Liban n’était pas leur priorité, mais maintenant que l’étau se resserre autour de ces groupes, la menace pourrait devenir plus précise