Une personne se suicide toutes les 40 secondes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé, et une personne tous les trois jours au Liban. Un phénomène alarmant surtout qu’il semble frapper les jeunes. Magazine enquête.
Nourhan avait 20 ans. Originaire du Liban-Sud, elle rêvait du jour où elle pourrait enfin quitter le pays. Tout ce qu’elle cherchait, c’étaient la sécurité et l’espoir d’un avenir meilleur. Mais l’idée de laisser sa mère seule la retenait. Nourhan cachait bien la dépression dont elle souffrait sous un sourire et un masque de fer. Mais le poids des soucis a eu finalement raison d’elle et elle a décidé de mettre fin à ses jours, laissant ses amis et ses proches incrédules. Personne n’avait réalisé l’ampleur du désespoir que vivait Nourhan.
Johnny Richa avait 35 ans. Il était marié et père de trois enfants. Il a été retrouvé mort dans sa voiture avec un bout de papier sur lequel étaient inscrits ces quelques mots: «Prière de contacter Jimmy Richa».
A la mi-septembre, une jeune fille de 17 ans s’est jetée de la fenêtre de sa maison sous les yeux sidérés de sa famille et de ses amies. Sous traitement, vivant dans une ambiance familiale perturbée, les causes sont nombreuses mais toujours est-il qu’une jeune fille de 17 ans a choisi de mourir. Avant d’accomplir son geste, elle avait envoyé à sa meilleure amie un message dans lequel elle lui disait: «Pardon pour ce que je vais faire.
Prends bien soin de mon frère».
Interrogée par Magazine, le Dr Aline Husseini Assaf, psychanalyste, docteur en psychologie clinique et psychologie pathologique, professeure assistante à l’Université libanaise (UL), estime que 85 à 90% des suicides surviennent à cause de troubles mentaux, quoiqu’il existe des raisons extérieures qui peuvent mener au suicide, tels le chômage, la pauvreté, les déceptions, etc. «Les troubles mentaux sont la dépression, la bipolarité, la paranoïa, la schizophrénie ainsi que l’abus de substances comme l’alcool ou la drogue», explique le Dr Assaf.
Le suicide est un phénomène qui touche deux fois plus les hommes que les femmes. Le suicide est contagieux. Souvent, après la survenance d’un tel acte rapporté par la presse, plusieurs suicides ont lieu dans les jours qui suivent. «Le suicide est un outil qui devient une échappatoire au réel qui dérange». Le Dr Assaf évoque également le cas des suicides qui se répètent dans les familles. «Cela devient une identification au père ou au grand-père qui s’est suicidé. Ce sont des secrets familiaux bien gardés, transmis dans les non-dits. L’enfant cherche à comprendre le secret familial par le passage à l’acte. Souvent, il choisit la même date, le même endroit et le même moyen pour mettre fin à ses jours. Il se produit alors une identification à la personne disparue».
Un appel à l’aide
Les suicides ont généralement lieu chez les personnes âgées, mais actuellement, c’est la tranche des jeunes entre 15 et 29 ans qui est le plus atteinte. «La plus grande proportion de suicides a lieu chez les jeunes de 16 ans, qui traversent une crise d’adolescence. Il faut que les parents soient très vigilants, qu’ils observent particulièrement le comportement de leur enfant». Selon les explications de la psychanalyste, souvent, les adolescents ont des pulsions morbides, un fond d’agressivité et connaissent un sentiment de persécution. «Ce n’est pas lorsque l’enfant atteint le stade de l’adolescence que l’on commence à se poser des questions et à se demander pourquoi il est triste, pourquoi il n’a aucun intérêt, pourquoi il est seul et passe son temps à écouter de la musique ou à dormir ou se faire grossir. Il y a tout un parcours que l’adolescent traverse avant d’atteindre le stade du passage à l’acte. C’est pour cela que les parents doivent être présents et établir une communication avec leurs enfants».
Le Dr Assaf insiste sur l’amour que les parents doivent donner à leur enfant, lui donner le sentiment qu’il est aimé et désiré. «Souvent, la mère, durant la grossesse, communique à l’enfant le désir de mourir. C’est alors inconsciemment que cet enfant va réaliser le souhait de sa mère».
Les moyens utilisés par ceux qui se suicident vont de la pendaison à l’empoisonnement, à la prise de médicaments ou à se tirer dessus ou se jeter d’un endroit élevé. «Il faut distinguer entre les suicides et les appels au secours. Une tentative de suicide est généralement un appel à l’aide». Selon la psychanalyste, il existe plusieurs genres de suicide. «Il y a le suicide maniaque, qui intervient à la suite d’une hallucination ou un délire; le suicide mélancolique lié à la dépression, où celui qui se suicide a perdu l’appréciation du plaisir et voit la vie en noir. Il y a aussi le suicide obsessif, lorsque la personne a une idée fixe de la mort et elle est obsédée par le désir de se tuer. Enfin, il y a le suicide impulsif, quand la personne décide brusquement de se tuer et n’a pas préparé son acte à l’avance».
Le suicide n’est pas une fatalité
Pour épargner à nos jeunes ce fléau qui les frappe de plus en plus, la prévention reste incontestablement l’amour, la sécurité et la communication. «Il faut que l’enfant ait des repères; qu’il sache qu’il y a quelqu’un qui veut qu’il grandisse et qu’il évolue. Dès le début, les parents doivent faire contenance en témoignant leur amour par des gestes et des paroles».
L’adolescence est une période où l’enfant est fragilisé et durant laquelle on assiste à l’émergence des pulsions morbides. «C’est une période au cours de laquelle la mort est idéalisée. C’est comme si, aux yeux de l’adolescent, elle représentait la paix, le soulagement et la délivrance. A cet âge, contrairement aux adultes, il n’y a pas encore une conception mature de la mort, ce qui explique la grande proportion de suicides chez les adolescents». Il faut faire attention au langage des adolescents, qui ont souvent un vocabulaire morbide. «On ne le répètera jamais assez. Il faut insister sur les pulsions de vie pour qu’elles deviennent plus fortes que les pulsions de mort, assurer aux adolescents la sécurité et leur prodiguer l’amour». En définitive, celui qui se suicide laisse derrière lui un sentiment d’incompréhension, de honte et de culpabilité ainsi qu’une phobie sociale, surtout lorsque le suicidé est un enfant.
800 000 suicides par an
Selon le rapport de l’Organisation mondiale de la santé, «chaque année dans le monde, plus de 800 000 personnes se donnent la mort, soit une personne toutes les 40 secondes, davantage que les guerres et les inondations. Le suicide est la troisième cause de décès des personnes âgées entre 15 et 24 ans».
Selon une étude effectuée par l’AUBMC, «tous les trois jours, une personne se suicide au Liban. Ce chiffre est choquant, car le Liban est un petit pays. Pourtant, ce nombre ne représente pas véritablement la situation, puisque, pour des raisons sociales, beaucoup de familles cachent le suicide de l’un de leurs membres, de peur du regard des autres. Selon les données de terrain depuis le début de 2014, on estime que le taux de suicides augmentera de 25% par rapport aux années précédentes»