Le roi d’Arabie saoudite Salman ben Abdelaziz al-Saoud a commencé par limoger le ministre du Pétrole Ali al-Naïmi qui occupait le poste depuis 1995. L’ancien ministre de la Santé Khalid al-Falih lui succède à ce poste qui change de nom, s’appelant désormais : « ministère de l’Energie, de l’Industrie et de l’Exploitation minière ». Ce remaniement a, aussi touché une dizaine d’autres postes aux plus hauts sommets de la monarchie wahhabite.
Le 25 avril dernier, le palais a dévoilé le programme Vision-2030, un plan à long terme qui prévoit une transformation en profondeur de l’économie de l’Arabie saoudite. Celui-ci sera lancé quel que soit le niveau des prix mondiaux du pétrole. Dans cette perspective, la monarchie doit augmenter sa part des exportations non pétrolières de 16% à 50% du PIB. En raison de la chute du prix du baril, la monarchie wahhabite a enregistré un déficit record estimé à 98 milliards de dollars vers la fin de l’année 2015. Fin octobre 2015, le Fonds monétaire international (FMI) prédisait que le pays verrait croitre son déficit budgétaire « substantiellement » durant les cinq prochaines années et que l’économie du pays ne pourrait retrouver un équilibre « relatif », qu’une fois que le baril revenu au-dessus de la barre des 106 dollars.
Le vice-prince héritier saoudien Mohammed ben Salman a, ainsi affiché d’ambitieuses réformes, présentées comme « une feuille de route » pour les quinze prochaines années. Il s’agit de diversifier l’économie saoudienne qui dépend à plus de 70% du pétrole. Ces mesures devraient, selon le fils du roi saoudien, transformer le royaume en puissance de « rang mondial » dans le domaine des investissements et l’affranchir de sa dépendance vis-à-vis de l’or noir d’ici 2020… Ryad prévoit, notamment de coter en Bourse quelque 5% du géant pétrolier Saudi Aramco et se doter d’un fonds souverain de 2000 milliards de dollars (1777 milliards d’euros), qui s’imposerait comme le plus important du monde. Ce fonds devrait être l’outil principal des investissements saoudiens à l’étranger, financé notamment par la cession de titres du géant pétrolier Saudi Aramco.
Pilier économique du royaume, Saudi Aramco contrôle des réserves prouvées de plus de 261 milliards de barils et emploie plus de 61.000 personnes. Selon le prince-héritier, l’ouverture d’Aramco au capital local et étranger devrait assurer « la transparence » dans la gestion du géant pétrolier. Devrait suivre la cotation en bourse des filiales afin de sortir du « tout pétrole »… Voilà pour la vitrine. En coulisses, les choses sont moins harmonieuses. La guerre de succession engagée par le roi Salman qui veut imposer son fils Mohamed, le « grand réformateur » et prince-héritier en second sur le trône à la place du prince-héritier en premier Mohammed Ben Nayed, n’est pas jouée, de même que la neutralisation des fils du roi précédant Abdallah et des tribus dissidentes. D’autres « révolutions de palais » ne sont pas à exclure… et l’agitation récurrente des régions pétrolières de l’est – majoritairement peuplées de Chi’ites – est loin d’être réglée non plus.
Sur le plan régional, l’Arabie saoudite est en train de durcir sa position sur tous les dossiers qui l’opposent à l’Iran, dont le retour constitue désormais une évidence géopolitique régionale et internationale… Cette attitude n’est-elle pas contradictoire avec les efforts affichés de modernisation Vision-2030 ? Toujours est-il qu’en massacrant des milliers de civils et en détruisant une grande partie des infrastructures du pays, Riyad s’est dangereusement enlisé au Yémen. Cette intervention militaire n’est pas près d’imposer son nouvel ordre aux confréries des tribus locales, les experts du grand frère américain explorant différentes voies pour sortir Riyad de ce guêpier très coûteux, lui-aussi.
Mais c’est sur le dossier syrien que l’Arabie saoudite file son plus mauvais coton ! De passage à Paris, le ministre des Affaires étrangères Adel Al-Jubeir a réaffirmé son soutien à la rébellion syrienne armée, y compris aux groupes terroristes les plus radicaux. Riyad a profité d’un cessez-le-feu, globalement respecté pendant près de deux mois dans la région d’Alep, pour faire entrer par la Turquie des tonnes d’armements supplémentaires et de nouveaux mercenaires jihadistes. « La monarchie wahhabite engage actuellement toutes ses forces sur les différents fronts d’Alep, considéré comme la mère des batailles. Riyad estime à juste titre que la reprise de la deuxième ville du pays par l’armée gouvernementale syrienne sonnerait le glas de l’influence sunnite dans toute la région », explique un officier des services français de renseignement ; « prêts à faire des concessions sur le dossier yéménite, les Saoudiens font désormais de la chute de Bachar al-Assad, une question de principe sur laquelle il n’est pas question de perdre la face. Ils mettent tout en œuvre pour gagner cette partie qui conditionne l’avenir de leur hégémonie sur les communautés sunnites de l’ensemble du monde arabo-musulman ».
En effet, Adel Al-Jubeir a réaffirmé à Paris que le départ de Bachar al-Assad constituait toujours l’élément clef – non négociable – de la poursuite du processus diplomatique de Genève, ajoutant aussi (peut-être un peu vite), que c’était aussi la position de Paris et de Washington ! En parlant du Quai d’Orsay, le ministre saoudien conclut de manière péremptoire : « ses positions, sur tous les sujets – Israël et la Palestine, le Liban, la Syrie, l’Iran, l’Irak, le Yémen -, sont presque complètement alignées sur les nôtres » (sic).
Mais la cerise sur le gâteau concerne, une fois de plus, les liens avérés entre l’idéologie wahhabite (doctrine officielle de la monarchie) et le terrorisme salafo-jihadiste. En l’occurrence, le ministre saoudien ne craint pas la facilité : « les gens disent que le wahhabisme et le terrorisme sont les deux faces d’une même médaille. C’est un cliché et c’est faux (…) Penser que nous finançons et promouvons des gens qui veulent nous détruire est absurde ». Ce qui est proprement absurde est de nier à ce point l’évidence : des financements saoudiens prouvés de l’islamisme radical depuis plus d’une vingtaine d’années, ainsi que des collisions – toutes autant avérées – entre la GID, les services spéciaux de Riyad et les successeurs d’Oussama Ben Laden, non seulement aux Proche et Moyen-Orient, mais aussi en Asie, en Afrique, sinon en Europe.
Si Riyad a choisi de financer l’extrémisme islamiste le plus radical depuis tant d’années, c’est justement parce qu’il espérait ainsi acheter sa tranquillité intérieure et son hégémonie sur le monde arabo-musulman… Les mal nommées « révolutions arabes » et la convergence des crises qui continuent de déchirer le Proche-Orient annoncent la fin de cette imposture. Sur ce plan là-aussi, et pas seulement sur celui des hydrocarbures, la « dictature protégée » le sera de moins en moins. Un jour ou l’autre, Riyad devra fatalement passer à la caisse !
Et ce n’est pas en se payant les services des plus grandes sociétés parisiennes de communication que Riyad arrivera à contredire les nombreuses enquêtes qui font unes, couvertures et analyses des médias européens depuis plus de six mois. En matière d’expansion du terrorisme salafo-jihadiste dans le monde entier, la culpabilité de l’Arabie saoudite n’est pas une simple question d’image et de communication ! Cette implication, sinon cette culpabilité saoudienne est une incontournable réalité. Celle-ci a duré si longtemps et perdure encore – essentiellement – grâce à la complicité, à la cupidité et la lâcheté de Washington et de ses alliés occidentaux dont la France de François Hollande !
En matière de collisions et collusions saoudiennes avec le terrorisme islamiste, les 28 pages toujours classifiées du rapport de la Commission parlementaire américaine sur les attentats du 11 septembre 2001, diront – le moment venu – leurs vérités. Celles-ci risquent fortement de correspondre et de confirmer ce que les experts des services extérieurs français (DGSE) écrivent depuis quinze ans !