DÉCRYPTAGE
Scarlett HADDAD | OLJ16/12/2016
Même si les délais habituels pour la formation du gouvernement n’ont pas encore été dépassés, le retard commence à être inquiétant. Non pas tant pour la gestion des affaires courantes du pays que pour les élections législatives en perspective. Si, comme l’exige la loi, les élections devraient avoir lieu aux alentours du 20 mai 2017, et que les collèges électoraux devraient être convoqués trois mois avant le rendez-vous fixé, cela signifie que les parties politiques ont pratiquement deux mois au grand maximum pour s’entendre sur une nouvelle loi électorale, à supposer que son mécanisme d’application soit simple et n’exige pas un délai supplémentaire pour la formation des fonctionnaires.
Aujourd’hui, la question qui se pose est donc la suivante : comment les parties politiques pourraient-elles s’entendre dans un délai aussi court sur une nouvelle loi électorale, alors qu’elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la distribution de 24 portefeuilles ministériels, sachant que les grandes lignes du futur gouvernement sont devenues claires ? Derrière des déclarations d’ouverture et de volonté d’assurer une entente nationale, les différentes parties politiques n’ont qu’un seul souci, celui de maximaliser leurs chances aux élections au détriment de leurs adversaires. Le gouvernement n’est donc que la partie visible de l’iceberg, l’autre, la plus importante, étant les législatives et les nouveaux rapports de force auxquels elles pourraient donner naissance. Justement, les parties qui veulent maintenir la loi actuelle, sans oser le dire franchement, sont celles qui souhaitent que rien ne change et que les résultats des élections de 2017 donnent pratiquement naissance à un Parlement qui ressemble étrangement à celui de 2009.
Comme si, au Liban, le temps s’était figé à cette date et que les tempêtes régionales et le changement international se heurtaient à un mur étanche édifié autour du pays par ceux-là mêmes qui refusent toute possibilité de changement.
Pourtant, selon un haut fonctionnaire de l’État qui tient à garder l’anonymat, le Liban ne peut pas ignorer les changements survenus autour de lui et même sur son propre territoire. Il ne peut pas, insiste-t-il, continuer à ignorer la présence de plus d’un million et demi de déplacés syriens sur son territoire, dont le nombre augmente chaque année ne serait-ce que grâce aux 50 000 naissances annuelles syriennes sur le sol libanais. Jusqu’à présent, le Liban continue à traiter ce dossier sous le seul angle humanitaire et parfois sous l’angle sécuritaire. Mais il pose en réalité une multitude de problèmes sur le court et le moyen terme, sur lesquels personne, à part le ministère des Affaires étrangères qui travaille jour et nuit sur ces questions, ne souhaite se pencher.
Selon ce haut fonctionnaire, le Liban devrait cesser de traiter cette question au jour le jour et au gré des demandes et des pressions internationales. Il devrait admettre que ces déplacés syriens devront rester sur son territoire pour quelques années au moins, sachant que même si la guerre en Syrie finit demain (ce qui est loin d’être évident), les déplacés ne pourront pas rentrer chez eux avant quelque temps en raison de l’étendue des destructions. Pour cette raison au moins, le Liban devrait traiter le dossier des déplacés syriens avec sérieux et le ministère des Affaires étrangères ne peut pas prendre seul les décisions, d’autant que dès que le ministre Gebran Bassil fait une déclaration sur ce sujet, il est aussitôt accusé de se livrer à des discriminations racistes.
Dans le proche et moyen terme, les déplacés syriens sont donc appelés à rester au Liban, avec leurs problèmes sociaux, leur misère et une possible rancœur à l’égard du monde entier, et en particulier à l’égard des Libanais. Appartenant en majorité à la confession sunnite, ces déplacés peuvent constituer des groupes de pression et être utilisés le cas échéant dans une atmosphère politique tendue où l’appartenance confessionnelle prime sur tout autre considération. C’est pourquoi, estime le haut fonctionnaire précité, il est plus que primordial pour les Libanais d’adopter une nouvelle loi électorale qui permettrait de privilégier le discours national sur celui confessionnel. Selon lui, le pire serait de maintenir la loi actuelle qui a permis à la classe politique qui contrôle le pays depuis les années de guerre civile de rester en place et d’amplifier les divisions confessionnelles pour maintenir les citoyens sous sa coupe. Les Libanais sont ainsi pris en otage par des chefs de file qui utilisent le système confessionnel pour asseoir leur pouvoir… et leurs privilèges, avec d’autant plus de férocité aujourd’hui qu’ils sentent que le monde est en train de changer. Cela aurait pu être sans conséquence tant qu’il y avait une certaine stabilité dans la région. Mais aujourd’hui, avec tous les nouveaux facteurs qui interfèrent, le Liban a besoin de renforcer le ciment national et le concept de citoyenneté.
Le meilleur moyen d’entamer ce processus reste l’adoption d’une nouvelle loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel, pour éviter tout sentiment d’exclusion, et sur des critères nationaux. Mais avec une grande légèreté, la classe politique est en train de rater, sciemment ou non, ce rendez-vous…