Parce que la vie est plus forte que tout et que les grands ne meurent pas, le Québec peut s’enorgueillir de receler une artiste qui perpétue le grand art pictural libanais.
Si le nom vous dit quelque chose vous n’avez pas tort. C’est celui de son père, le célèbre peintre, Haidar Hamaoui à qui on doit de très nombreux tableaux ainsi que le Hamaoui Arts center, une école d’art créée à Beyrouth en 1968. Les années ont passé et la petite qui regardait le coucher du soleil avec son père a pris le pinceau, comme on prend le flambeau, pour reproduire à son compte les paysages du célèbre peintre impressionniste. À la méthode au couteau du père, Nada y ajoute les techniques mixtes qui manipulent des matières incompatibles telles la gouache et l’encre et superpose les couches pour recréer des ambiances qui lui ressemblent. Un monde où les identités multiples ont forgé une artiste à la sensibilité aiguë qui puise dans ses souvenirs de jeunesse, sa vie en Côte d’Ivoire et son vécu au Canada pour créer des œuvres d’art qui reflètent toutes les influences des endroits et des cultures qui enrichissent ses créations.
L’artiste au sourire espiègle est une jeune femme douce, chaleureuse, soucieuse parfois, enjouée à d’autres, mais surtout très modeste. C’est à peine si au détour d’une phrase on apprend qu’elle vient d’être nommée vice-présidente de l’Association des artistes de Dollard ou qu’elle a une nouvelle série de toiles ‘‘qui porte sur le thème de l’eau’’. De son art, elle n’en parlera pas ou très peu. Amie fidèle, mère exemplaire, épouse attentive, c’est son petit monde qui semble l’occuper, alors que, tranquillement dans son sous-sol de sa résidence en banlieue de Montréal, son pinceau crée des œuvres à travers lesquelles elle se reconstruit et se transforme à chaque fois.
Avec un diplôme en arts visuels de la LAU (Lebanese American University) en 1983, la jeune Hamaoui doit quitter le foyer familial pour suivre son époux en Afrique. Après la Méditerranée qui a bercée son enfance, l’artiste, déjà confirmée, découvre les couleurs de la savane africaine et le bleu des l’océan tumultueux qui lèche le Golfe du Bénin. Pendant 10 ans, ce sont de nouvelles couches de paysages, de sensations, d’émotions qui vont nourrir son imaginaire qu’elle essaiera d’exprimer avec sa sensibilité à fleur de peau. Mais c’est à Montréal qu’elle déploie son art après un (MA) dans l’enseignement des arts de l’Université Concordia.
Bien que nourrie par tous ces déplacements, espaces et lieux fréquentés, c’est l’influence de son père qui orientera son parcours artistique. Elle écrira dans sa thèse soutenue en 2001 ‘‘De longues années passées sur le continent africain, où justement le soleil est flamboyant, n’ont réussi à éteindre la flamme de cette rupture d’origine et dont la plaie fut tenace’’. Les yeux embués de larmes au souvenir de ce géniteur qui lui a transmis tout autant son art que son talent, elle dira ‘‘Aussi loin que je peux reculer dans mes souvenirs, je vois une petite fillette contempler le coucher du soleil derrière l’horizon et à ses côtés, un grand peintre qui lui apprend que le soleil est source de toute lumière et la raison d’être de toutes les couleurs’’. Cette osmose père-fille résonnera souvent dans sa mémoire. Et à chaque coucher du soleil, quand elle voit les formes s’estomper graduellement et l’effet des rayons s’atténuer, se brouillant dans l’obscurité, c’est son père qui ressuscite et la beauté de la nature avec. L’éloignement, les migrations, l’absence, les déchirements entre le Canada où elle produit, l’Afrique qui l’inspire et le Liban où se cache son cœur, dirigeront autant les aquarelles de Nada, que ses peintures à l’huile, ses techniques mixtes ou l’acrylique.
Très introduite dans le milieu artistique, Nada Hamaoui Kyriakos est aussi active auprès de la communauté orientale. Membre du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV), membre de l’Association des Artistes de Dollard (AAD) où elle occupe des postes de gestion et de direction et pour ne citer que les plus importantes ; elle compte à son actif des dizaines d’expositions en solo ou en groupe, notamment au Musée des maitres et artisans du Québec, avec le groupe d’artistes Le Levant.
Amarrée à plusieurs ancres autant de lieux que d’inspirations, la jeune femme au minois d’enfant, se dévoile par métaphores et strates, à l’image de ses identités multiples, tricotées serrées, ‘‘flamboyantes comme le soleil d’Afrique’’, puissantes comme ses productions canadiennes et rayonnantes comme seuls peuvent l’être les rayons de son pays natal où repose son père.
Gisèle Kayata Eid