13 avril 1975-13 avril 2017. 42 ans après la triste étincelle de Aïn el-Remmaneh qui a déclenché une guerre de 15 ans, le Liban se trouve de nouveau au bord du gouffre. Après l’annonce officielle de la fin de la guerre avec l’adoption de l’accord de Taëf, les années de tutelle syrienne puis la division entre 14 et 8 Mars loin des divergences communautaires et religieuses, le spectre d’un conflit (politique) entre chrétiens et musulmans se profile à l’horizon.
Depuis 24 heures, les médias, alimentés par les forces politiques, se font l’écho d’un schéma simpliste, voire archaïque, d’une entente entre les différentes composantes musulmanes (et en particulier chiites), pour spolier les chrétiens (représentés par le CPL et les Forces libanaises) de leur droit à choisir leurs représentants au Parlement. La tension est telle que l’on croirait vraiment que la guerre au moins verbale va éclater aujourd’hui, dans un pays qui n’a pas encore totalement pansé les blessures du passé.
On a beau essayer de comprendre les motivations de chaque partie et tenter de trouver des justifications à toutes les revendications, il reste difficile d’admettre que tous les protagonistes sont prêts à mettre le pays, avec sa population qu’ils prétendent défendre, au bord du précipice. Certes, la loi électorale est de la plus haute importance, certes il est important de rassurer les chrétiens, qui restent le maillon le plus fragile dans le tissu social, en raison notamment des développements régionaux dont ils sont les premières victimes, mais est-il possible que toutes les négociations menées ne puissent pas aboutir à un accord minimal qui préserverait le Liban à un moment aussi délicat dans l’histoire de la région ?
Cette soudaine levée de boucliers d’une rare violence paraît artificielle au point que l’on se demande si chaque partie n’est pas tout simplement devenue otage de ses propres surenchères. Après tout, les sondages sont en train de montrer que, dans toutes les communautés, il y a un fossé entre ceux qui affirment les représenter et les bases respectives. Dans ces conditions, rien ne vaut un petit conflit confessionnel pour resserrer les rangs des militants et augmenter sa propre popularité… La faillite de la classe politique est si grande qu’elle en est désormais là.
Il ne reste plus que le recours au chef de l’État qui continue de bénéficier d’une large assise populaire pour tenter de trouver une issue à l’impasse actuelle. Quel est son plan, si aucun accord de dernière minute n’est trouvé? Selon des experts constitutionnels, le président de la République peut utiliser les prérogatives qui lui sont données par l’article 59 de la Constitution, qui l’autorise à reprendre un projet de loi présenté au Parlement dans un délai de cinq jours. Une fois ce projet de loi entre ses mains, le président peut décider de suspendre l’action du Parlement pendant un mois. Cette prérogative accordée par la Constitution au chef de l’État n’a jamais été utilisée, mais rien n’empêche qu’elle le soit. Si le président a recours à cet article, cela signifiera que le Parlement ne pourrait plus se réunir, pratiquement jusqu’à la fin du mois de mai, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la session ordinaire. Pour pouvoir se réunir de nouveau, le Parlement devrait donc, dans ce cas, attendre l’ouverture d’une session extraordinaire qui doit être décidée par le gouvernement. De la sorte, les différentes parties politiques auront largement le temps de poursuivre leurs tractations en vue d’aboutir à l’adoption d’un projet de loi électorale. Selon les mêmes experts, les députés ont jusqu’au 19 juin pour s’entendre sur une nouvelle loi électorale, car leur mandat prorogé à deux reprises expire le 20 juin. Si une nouvelle loi électorale est adoptée avant cette date, il sera toujours possible d’organiser les élections législatives après avoir décidé un report technique, le temps de faire les préparatifs nécessaires à l’application de la nouvelle loi. Sinon, en utilisant les prérogatives accordées par l’article 59 de la Constitution, le président n’aura fait que reporter le problème.
Justement, la question qui se pose reste la suivante : pourquoi les différentes parties politiques qui discutent depuis des mois, voire des années, de l’adoption d’une nouvelle loi seraient disposées à trouver un accord avant le 20 juin, alors qu’elles n’ont fait que mettre en avant leurs divergences jusqu’à présent ?