Dans 24 heures, ce sera enfin le grand jour électoral ! En dépit des analyses et des pronostics, la tension est en train d’atteindre son apogée et le suspense se précise, non seulement au niveau des partis, mais aussi au sein de chaque liste. Pour les partis politiques, il s’agit d’une bataille décisive sur le plan du poids populaire de chacun d’eux. Grâce à la loi actuelle (qui a par ailleurs de nombreux aspects qui laissent à désirer), aucun parti ne pourra plus faire illusion, après avoir fait élire ses candidats grâce au système majoritaire et à des alliances solides, en noyant le poisson sur sa popularité réelle. C’est donc un peu l’heure de vérité qui va sonner dimanche soir, lorsque les résultats commenceront à apparaître. C’est d’autant plus important qu’il y a eu de longs débats sur le poids populaire des différents partis, notamment lorsqu’il s’est agi de former un gouvernement ou de procéder à des nominations administratives. À partir de lundi, le paysage politique libanais devrait donc être plus clair. Certes, ceux qui s’attendent à de grands bouleversements seront forcément déçus, mais il y aura certainement des changements dans les équilibres politiques.
Pour pouvoir définir les gagnants et les perdants, il faudrait commencer par préciser les enjeux de chaque partie politique visés à travers ces élections. Le président de la République a lui-même déclaré à plusieurs reprises que ce qu’il souhaitait réaliser à travers ces élections, c’est d’abord qu’elles aient lieu sur la base d’une nouvelle loi électorale, pour en finir avec les prorogations successives et relancer la dynamique démocratique et le fonctionnement des institutions. Ensuite, il s’agissait, pour lui, de faire adopter une loi qui assure une représentation équitable, qui n’exclue aucune partie, dans le but de renforcer la paix civile, à une période particulièrement délicate dans la région.
Le CPL a des enjeux un peu différents. D’abord, il veut parvenir à former un bloc parlementaire important pour permettre au président Michel Aoun de réaliser son programme de réformes, ainsi que les objectifs qu’il s’est fixés, sachant que, depuis Taëf, la Constitution a réduit les prérogatives présidentielles et que seul un bloc parlementaire important et par la suite une part consistante au gouvernement pourraient permettre au chef de l’État de relayer son projet au Parlement et au gouvernement. De plus, le CPL souhaite, à travers ces élections, s’imposer comme un parti implanté sur l’ensemble du territoire libanais, d’où la présence de candidats qui lui sont affiliés ou sont des sympathisants dans la plupart des circonscriptions. En même temps, il souhaite atténuer l’image acquise au cours des dernières années de parti chrétien, en ayant des candidats de toutes les confessions, qui devront refléter la dimension nationale du CPL, d’autant que, lorsqu’il a commencé à apparaître à la fin des années 80, le courant aouniste était multiconfessionnel. Enfin, à travers ces alliances qui ont été souvent critiquées, il a voulu montrer qu’il est en mesure de parler avec toutes les parties libanaises, dans l’objectif de chercher des terrains d’entente pour mettre en pratique sa politique de refus de toute exclusion, lui qui a souffert de ce phénomène pendant des années, dans le but de consolider l’entente interne.
Le Hezbollah et Amal estiment que, face à la campagne qui s’intensifie contre eux (c’est surtout vrai pour le Hezbollah, mais il a entraîné Amal dans son sillage), le principal objectif est de verrouiller autant que possible la scène chiite au Liban, pour empêcher toute tentative de l’infiltrer. C’est dans ce contexte que le Hezbollah veut éviter de lâcher des sièges chiites, même s’il y en a deux au moins qu’il risque de perdre : Kesrouan-Jbeil et Baalbeck-Hermel. Le tandem chiite cherche donc à maintenir autant que possible son influence au sein de la communauté chiite. De plus, pour le Hezbollah, il est aussi important de se doter d’un bouclier multiconfessionnel qui devrait lui servir de protection parlementaire et nationale pendant la période à venir. À l’issue des élections, les deux formations chiites comptent d’ailleurs former un même bloc parlementaire qui devrait aussi regrouper des personnalités dites indépendantes sunnites, chrétiennes (autres que le CPL, bien sûr) et même druzes, si c’est possible.
Le courant du Futur, qui avait formé en 2009 le plus important bloc parlementaire avec près de 35 députés, souhaite à travers ces élections conserver son statut de formation sunnite numéro 1. L’enjeu de sa bataille est donc de battre ses rivaux, comme l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, l’ancien ministre Abdel Rahim Mrad et l’ancien député Oussama Saad. S’il sait que cela va être difficile, il veut en tout cas les empêcher d’obtenir des blocs parlementaires importants qui risqueraient de mettre en danger son leadership sunnite.
Walid Joumblatt a compris qu’il ne peut plus régner en maître absolu sur la Montagne. En effet, pour la première fois depuis les années 90 du siècle dernier, des députés devraient être élus au Chouf et à Aley sur d’autres listes que les siennes. Son principal souci est de limiter les pertes, de resserrer les rangs druzes et de faire barrage à l’ancien ministre Wi’am Wahhab.
Les Forces libanaises peuvent être considérées comme les gagnantes de ce scrutin qui leur permettra de faire élire des candidats dans la plupart des circonscriptions. D’ailleurs, les FL ont compris le principe de cette loi en présentant au maximum deux candidats pour chaque caza, afin de concentrer leurs voix préférentielles sur un seul et le faire ainsi élire. Leurs alliances ont servi à obtenir un coefficient d’éligibilité, et les voix préférentielles leur permettront de faire élire leur candidat sur les listes. Ce parti estime qu’à travers ces élections, il devrait confirmer son poids au sein de la communauté chrétienne. Ce qui pourrait lui ouvrir d’autres perspectives.
Le parti Kataëb, lui, cherche à sauver les meubles. La loi ne l’a pas avantagé, et l’absence d’alliances efficaces (il ne s’est allié qu’avec les Forces Libanaises dans certaines circonscriptions) ne devrait pas lui permettre de conserver les 5 sièges actuels. Pour lui, l’enjeu est existentiel.
Un mot encore sur la société civile. Beaucoup d’espoirs avaient été placés en elle, mais elle a mis beaucoup de temps à organiser ses rangs. Ce qui compte, c’est qu’elle a quand même réussi à avoir des listes dans la plupart des circonscriptions. Même si elle ne parvient pas à obtenir des sièges, elle a jeté les bases d’une présence plus efficace dans le paysage politique libanais.