Les élections municipales au Mont-Liban n’ont pas fini de faire couler de l’encre, tant elles sont considérées comme un indicateur à la fois des tendances de la rue chrétienne et de la solidité des alliances politiques.
Sur le plan de la rue chrétienne, les élections de dimanche ont totalement contredit l’idée, avancée après le scrutin à Beyrouth, concernant « le désintérêt chrétien envers la chose publique ». Le taux de participation élevé au Kesrouan, à Jbeil, au Metn et à Baabda ( il était moindre au Chouf et à Aley) montre que lorsqu’ils estiment que leur vote peut influer sur le cours des élections, les électeurs chrétiens sont nombreux à se rendre aux urnes. S’ils n’ont pas vraiment été au rendez-vous le dimanche 8 mai pour le scrutin à Beyrouth, c’est tout simplement parce que même s’ils votent tous, ils ne peuvent pas faire le poids face aux électeurs musulmans, et en particulier sunnites. Cette constatation devrait faire réfléchir ceux qui se plaignent de la non-implication des chrétiens dans les affaires de l’État. L’idée est simple : si on veut que les chrétiens participent réellement aux rouages de la vie politique du pays, il faut leur donner le sentiment qu’ils contribuent et participent aux décisions au lieu de se contenter de les subir. Concernant la municipalité de Beyrouth, il serait bon, par exemple, de songer à un découpage en arrondissements, un peu à l’image de Paris, pour permettre à chacune des composantes de la capitale libanaise de participer à la gestion des affaires de la ville, au lieu de se plaindre du faible taux de participation dans certains quartiers.
La seconde remarque qui se dégage des élections de dimanche dans le Mont-Liban, c’est l’incohérence des alliances électorales. Le Hezbollah a défini les règles qui ont dicté son approche municipale et qui se résument comme suit : les alliances se font avec les alliés, aucune confrontation n’est possible entre les alliés et pas d’engagement envers les alliés des alliés lorsqu’ils sont des adversaires. Chez les partis chrétiens aucune règle n’a pu être dégagée. Tous les repères habituels ont été balayés au profit de la notion de l’intérêt direct. L’objectif final de se faire élire ou de faire élire une liste en particulier a été le seul moteur des alliances électorales. On a vu ainsi, par exemple, dans certaines localités, les Forces libanaises alliées objectives des Marada et dans d’autres les Kataëb appuyant la même liste que le PSNS et ainsi de suite. Mais le plus intéressant est le schéma des alliances entre les Forces libanaises et le CPL qui s’est transformé en un véritable casse-tête pour les analystes.
L’entente de Meerab conclue en grande pompe le 18 janvier dernier était en réalité le principal élément nouveau dans le paysage politique chrétien et tous les observateurs attendaient de voir comment elle allait se traduire sur le plan des élections municipales. Il faut bien sûr se rappeler que cette entente portait au départ sur l’élection présidentielle et elle consistait à officialiser l’appui du chef des Forces libanaises Samir Geagea à la candidature de Michel Aoun. Dans l’esprit des deux protagonistes, cette entente était destinée à modifier le paysage politique au sujet de la présidentielle et à pousser les députés à se rendre au Parlement pour élire le général Aoun à la présidence. En réalité, les choses n’ont pas été aussi simples et l’élection présidentielle n’a pas eu lieu. Dans ce cas, que devient cette entente ?
Ses artisans, notamment le chef de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, et le conseiller de Geagea, Melhem Riachi, affirment qu’il s’agit d’une alliance politique qui va au-delà de la présidentielle et permet aux deux formations chrétiennes, considérées comme les plus importantes, de fonctionner désormais en tandem, comme ce fut notamment le cas dans leur opposition à une séance parlementaire pour la législation d’urgence. Toutefois, le schéma des alliances au Mont-Liban donne des signaux contradictoires. À Jbeil, par exemple, les Forces libanaises alliées de Ziyad Hawat sont représentées au sein du conseil municipal alors que le CPL en est exclu, n’ayant pas accepté la part qui lui était réservée. À Hadeth, c’est la liste du CPL qui l’a emporté haut la main, face à la liste appuyée par les Forces libanaises. À Deir el-Qamar, la liste appuyée par les FL et le CPL l’a emporté face à celle de Chamoun-Boustany
(avec toutefois six sièges sur 18 pour la seconde liste).
Les exemples se multiplient dans l’ensemble du Mont-Liban, les alliances se nouant et se dénouant au gré des intérêts électoraux. Mais c’est surtout à Jounieh que la nouvelle alliance de Meerab a reçu son coup le plus fort. Dans la capitale du Kesrouan, la bataille était féroce et toutes les armes (sauf à feu heureusement) ont été utilisées pour mobiliser les électeurs des deux camps. En gros, il s’agissait d’un affrontement entre les leaders traditionnels ou familiaux (Mansour el-Bone, Nehmat Frem et Farid Haykal el-Khazen) et le CPL du général Aoun, appuyé par les Kataëb. L’enjeu était d’autant plus important que Jounieh est considérée comme le véritable réservoir humain des leaders maronites. En général, celui qui emporte le Kesrouan est consacré leader des chrétiens, mais comme il n’y a pas d’élections législatives, il a fallu se rabattre sur les municipales.
Les aounistes affirment que la bataille de Jounieh a été déclarée pour battre le général Aoun dans le fief maronite afin de dire qu’il n’est pas le leader chrétien le plus représentatif et, par conséquent, il n’est pas le candidat le plus légitime pour la présidence. Dans le camp adverse, on dément cette orientation, précisant que c’est le général Aoun qui a voulu la bataille et qui lui a donné aussi sa dimension présidentielle. L’appui de Sleiman Frangié à la liste des familles, d’abord par le biais de Farid Haykal el-Khazen et aussi en la personne du candidat Silvio Chiha (qui a été élu), a corroboré la thèse aouniste, alors que les familles accusaient plutôt Aoun de vouloir les éliminer de la course en poussant le général Chamel Roukoz à mener en coulisses cette bataille en prélude à sa candidature aux législatives pour l’un des sièges du Kesrouan. Dans ce contexte exacerbé, la position des Forces libanaises était assez tiède, laissant le choix aux électeurs. Ce qui signifie indirectement qu’elle n’appuyait pas la liste du CPL et des Kataëb, alors que la bataille était très serrée… Cette position a d’ailleurs suscité un malaise chez les aounistes… que les deux camps cherchent désormais à dissiper.