Inaugurée ce lundi par les présidents de la France et du Liban, une exposition met en lumière les 2 000 ans d’ancrage arabe de ces communautés chrétiennes.
«Une première mondiale.» Jack Lang, le président de l’Institut du monde arabe, ne cache pas son enthousiasme d’accueillir, à deux pas de la cathédrale Notre-Dame, une grande exposition sur les chrétiens d’Orient. «Nous avons consacré plusieurs expositions à l’islam, mais c’est la première fois que les chrétiens d’Orient sont au centre d’une exposition d’une telle ampleur, par la richesse et le nombre d’œuvres inédites présentées», nous a confié l’ancien ministre de la Culture, quelques heures avant l’inauguration officielle par deux présidents de la République, celui de la France et du Liban, ce lundi 25 septembre. Double événement, là aussi : c’est la première exposition qu’Emmanuel Macron inaugure sur le territoire et aucun chef d’État libanais n’avait mis les pieds à l’IMA jusqu’à ce jour.
Bel hommage, quoique tardif, à celles et ceux qui perpétuent l’héritage chrétien, et sont persécutés pour cela, sur la terre même du Christ. « Enfin, l’IMA, qui se doit de lutter contre les clichés et les ignorances, ouvre grand ses portes aux chrétiens d’Orient, lance Jack Lang. Le monde arabe est riche par la multiplicité de ses héritages religieux, et le christianisme en est l’une des composantes ». Directeur de l’Œuvre d’Orient, dont les réseaux en Terre sainte ont permis de rassembler des biens appartenant à des communautés et jamais montrés au public, Mgr Pascal Gollnisch fait partie de ceux qui en entretiennent la flamme. « Les premiers évangélisateurs de la Gaule étaient des chrétiens d’Orient, comme saint Irénée, qui venait de Smyrne, rappelle le prélat. La vie monastique française s’est souvent inspirée du monachisme oriental. Et il ne faut pas oublier que ces liturgies chrétiennes en général sont en langue arabe. Nous voyons ces chrétiens comme des gens persécutés, ce qui est vrai, comme des migrants poussés à quitter leur région, ce qui n’est pas faux, mais certains veulent les présenter comme une sorte de cinquième colonne de l’Occident en Orient, ce qui est absurde : ils y sont chez eux depuis deux mille ans.»
Ancrage
C’est l’une des grandes réussites de cette exposition : on y touche des yeux l’ampleur de l’ancrage des chrétiens en Terre sainte. « On ne voulait pas raconter une histoire morcelée en isolant chaque communauté, puisqu’il y a un destin commun, souligne Elodie Bouffard, cocommissaire de l’exposition, qui a travaillé deux ans et demi à rassembler ces œuvres. Nous nous sommes attachés à la progression chronologique sur deux mille ans d’histoire pour mettre en avant la notion de construction. » Le visiteur, ainsi, peut mesurer comment, « grâce aux monastères, aux pèlerinages, aux cultes des martyrs, le christianisme a pu se répandre, en commençant par la christianisation rapide des tribus bédouines dès le IIe siècle », explique la commissaire.
Des objets remarquables témoignent de cette présence ancienne, comme ces fresques provenant de Doura-Europos, premier bâtiment identifié comme église, datant du début du IIIe siècle, confiées par l’université américaine de Yale – après l’intervention de l’ambassadeur de France aux États-Unis –, une bible syriaque complète du VIe siècle ou encore ces spectaculaires éventails en cuivre de Mossoul. Exemples parmi de nombreux autres…. La conquête arabe, après le VIIe siècle, n’effacera pas cette implantation. « Le temps politique n’est pas le temps des sociétés, constate Elodie Bouffard. Pendant des siècles, le monde arabe va devenir majoritairement chrétien. Le statut discriminatoire de dhimmis, notamment, s’est mis en place progressivement entre les VIIe et Xe siècles.»
« Passeurs culturels »
Et, même en devenant minoritaires, les chrétiens continuent à marquer l’Orient de leur influence. Sous l’Empire ottoman, ils deviennent les intermédiaires entre les commerçants européens et musulmans ; ils ouvrent des comptoirs dans « les échelles du levant », par exemple, et une bourgeoisie chrétienne, lettrée et commerçante s’installe. Ces chrétiens restent des « passeurs culturels », notamment parce qu’ils bénéficient d’outils : ce sont eux qui mettent en place l’imprimerie dans le monde arabe. « S’il n’y avait pas eu un chrétien libanais dénommé Hanna Diab, précise Elodie Bouffard, Les Mille et Une Nuits n’aurait jamais pu être diffusé… » À la fin du XIXe siècle et jusqu’à la Première Guerre mondiale, comme le relève Charles Personnaz, de l’Œuvre d’Orient, qui fait partie du comité scientifique de l’exposition, « les chrétiens seront aux avant-postes de la Nahda, la renaissance littéraire et culturelle du monde arabe ».
L’écrit sera un vecteur fort de transmission de ces mémoires, notamment grâce au travail – de bénédictins, pourrait-on dire – effectué par les religieux dominicains et les franciscains de la custodie de Terre sainte, présents depuis le XIIIe siècle et qui ont fortement contribué à la conservation et, aujourd’hui, à l’exposition au grand public de ces œuvres. Mais il est des initiatives contemporaines qui suivent cette ligne. Ainsi, pendant deux ans, entre 2012 et 2014, Vincent Gelot, correspondant de l’Œuvre d’Orient au Liban, a parcouru 60 000 kilomètres du Liban à l’Afghanistan, du Yémen à l’Égypte pour recueillir les témoignages de ces communautés martyres dans un seul et même gros livre, qu’il passait sous le manteau, et qui est exposé à l’IMA – son contenu, très émouvant parce qu’il rassemble sur le vif des tranches de vie, est concomitamment publié sous le titre Chrétiens d’Orient, périples au cœur d’un monde menacé (Albin Michel).
Impossible de s’arrêter ici sur toutes les œuvres mises en lumière. Mais, pour l’aspect contemporain, s’il y a un travail qui mérite attention, c’est bien celui de l’artiste palestino-israélien Dor Guez, qui a retrouvé dans un grenier familial et met en scène les photos de sa grand-mère Salomé, saynètes de vie arrachées au quotidien de la diaspora de Jaffa entre 1935 et 1948. La destinée multiculturelle des chrétiens d’Orient est une histoire bimillénaire, et elle se poursuit de nos jours, malgré les tragédies, de façon bien vivante, comme le prouve cette belle exposition à l’Institut du monde arabe. Vous avez jusqu’au 14 janvier pour embarquer dans cette aventure !
Chrétiens d’Orient. Deux mille ans d’histoire. Du 26 septembre au 14 janvier à l’Institut du monde arabe à Paris.