C’est en chef sûr de lui et rassembleur que le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil a pris la parole hier devant un parterre de 1 000 membres du parti qu’il préside, en clôture du second congrès général du CPL au BIEL. À l’aise, il s’est adressé aux militants et aux membres du conseil politique du parti (les députés et ministres), ainsi que les principaux cadres, pour exposer les grandes lignes de la stratégie du Courant patriotique libre pour la période à venir, à l’ombre de la présidence de son fondateur, Michel Aoun…
La tenue de ce congrès est en elle-même une victoire pour Gebran Bassil, que l’on avait considéré comme affaibli et contesté à son arrivée à la tête de la formation en août 2015. On se souvient en effet de la vague de protestations au sein du CPL qui avait suivi sa désignation à la suite d’un compromis interne. Un mouvement de fronde avait même commencé à se former et il s’était concrétisé à travers les élections municipales de mai 2016 où, dans certaines circonscriptions, la base n’avait pas respecté les consignes de vote de la direction du parti.
Mais en quelques mois, Gebran Bassil a réussi à changer la donne. Il a tenu bon face à ses détracteurs internes et externes. Il s’impose aujourd’hui comme le chef d’un parti structuré, doté d’un organigramme et d’un règlement intérieur strict, tout en essayant de faire participer la base aux décisions. Devant son auditoire, le jeune ministre a voulu marquer la différence entre le CPL et les autres formations politiques du pays, mettant l’accent sur le côté rebelle du Courant patriotique libre et sa mission réformatrice. Il a aussi insisté sur le fait que la lutte contre la corruption est une des priorités de son parti, tout en se voulant rassurant : « Il n’y aura pas de retour en arrière, mais à partir de maintenant, celui qui se laissera tenter par la corruption sera puni, qu’il s’agisse d’un ami, d’un allié ou d’un adversaire. » Évoquant l’élection du fondateur du parti, le général Michel Aoun, à la présidence de la République, Gebran Bassil a précisé que « ceux qui croient que l’arrivée du président Aoun à Baabda est une source de profit se trompent ». Il a au contraire poussé les ministres et les députés du CPL à être des « modèles d’efficacité et d’intégrité, justement pour rester fidèles à l’image du chef de l’État ».
Gebran Bassil a en outre expliqué que le CPL considère l’adoption d’une nouvelle loi électorale comme un facteur déterminant de stabilité politique : « Il n’y aura pas de loi électorale ou d’alliances électorales conçues au bénéfice du chef du CPL. » Par cette phrase, il a mis un terme à toutes les spéculations et tentatives de faire croire qu’il serait prêt à faire des concessions dans le seul but de se faire élire à Batroun aux prochaines législatives. Le ministre a ainsi montré que l’intérêt général était plus important pour lui que son intérêt personnel et qu’on ne pourra pas lui arracher des concessions en l’appâtant avec des promesses électorales. Cette déclaration séduit certes ses partisans, mais elle peut nuire en revanche à ses chances électorales dans la circonscription de Batroun. C’est du moins ce que disent ses adversaires.
Mais Gebran Bassil déclare qu’il n’est pas prêt à faire des compromis sur ses principes et ses convictions, même au prix de ses propres intérêts. Selon ses proches, il a depuis longtemps accepté l’idée d’être la cible de toutes les attaques, sachant qu’à travers lui, c’est le général Aoun devenu président que l’on cherche à atteindre. Il essaie donc de ne pas y attacher trop d’importance, soucieux de servir la cause dans laquelle il croit. En même temps, il travaille dur, surprenant son entourage et ses collègues par son dynamisme, menant des négociations politiques difficiles, dirigeant son ministère et s’occupant du parti tout en consacrant ses samedis à Batroun, où il reçoit inlassablement les habitants du caza, qui viennent lui soumettre leurs doléances ou leurs réclamations. Il les accueille tous, un par un, les écoute mais ne fait jamais des promesses qu’il ne peut pas tenir. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut une réputation de franchise, parfois brutale.
Hier au BIEL, il pouvait donc afficher sa satisfaction. En quelques mois, il a réussi à s’imposer à la tête du parti, sachant que depuis août 2015, et en dépit des pronostics négatifs, le nombre d’adhésions a augmenté au point d’atteindre 23 000 membres. Il a imprimé sa marque dans le règlement intérieur, instaurant une sorte de primaire en vue des législatives dans le but de donner à la base voix au chapitre, tout en resserrant les rangs du parti. Devant son auditoire, il a même reconnu que le point faible du CPL, c’est qu’il n’est pas en train de séduire les jeunes et il a annoncé que les efforts se concentreront désormais sur ce point précis. En même temps, il s’est posé en chef de parti ouvert, désireux de conclure des ententes politiques avec les autres formations du pays, sachant qu’il est aussi un homme-clé de la politique libanaise en général, en tant que membre du cercle rapproché du chef de l’État. Ceux qui le critiquaient et cherchaient même à l’écarter ont dû se rendre à l’évidence : Gebran Bassil est incontournable. À ce stade, il a donc réussi son pari. Que restera-t-il de ces réalisations à la fin de l’actuel mandat ? C’est son nouveau défi : s’inscrire dans la durée et convaincre par l’action. Son message aux sceptiques : après ce qui est arrivé (l’élection du général Aoun), impossible ne doit plus être dans le vocabulaire.