La petite phrase du président Aoun sur « la complémentarité des armes du Hezbollah avec celles de l’armée dans la résistance contre Israël » n’a pas suscité les remous habituels chez les figures politiques traditionnellement hostiles à la formation chiite. Ce qui en dit long déjà sur l’état d’esprit général dans le pays, tendant malgré tout vers l’apaisement.
Il y a quelques mois seulement, cette phrase aurait provoqué un véritable tollé contre le général devenu président, mais dimanche, seules quelques voix se sont élevées contre cette déclaration et encore, elles ne l’ont pas fait spontanément, mais à la suite des sollicitations des journalistes.
Le seul à avoir réagi spontanément et en premier en critiquant la phrase du chef de l’État est l’ancien ministre de la Justice Achraf Rifi. Mais ce dernier a voulu, à travers les critiques apparentes au président de la République, atteindre essentiellement celui qu’il considère comme son rival et qu’il accuse d’avoir bradé « l’héritage politique du Premier ministre martyr Rafic Hariri », à savoir l’actuel Premier ministre Saad Hariri. Rifi sait qu’il est la principale cible du courant du Futur dans les prochaines législatives et il veut faire feu de tout bois, axant sa campagne contre « la reddition du chef de ce courant face aux exigences du Hezbollah ». D’ailleurs, le choix des ministres du courant du Futur était significatif de la priorité de Saad Hariri de lutter contre l’influence de Rifi : Mohammad Kabbara et Mouïn Merhebi, ainsi que Jamal Jarrah, tous trois considérés comme « des faucons » au sein du courant du Futur, sans parler de Nouhad Machnouk, accusé déjà dans le gouvernement Salam, par Rifi, d’avoir démonté toute la structure qu’il avait construite au sein des FSI, et en particulier du service de renseignements de cette institution.
Dans ce contexte de rivalité aiguë, la déclaration du président à la chaîne de télévision égyptienne a été du pain béni pour Rifi qui a aussitôt cherché à l’exploiter contre le Premier ministre. Selon une source proche du courant du Futur, Saad Hariri a alors poussé le député Okab Sakr à se lancer dans la contre-attaque, ne ménageant pas ses critiques au chef de l’État mais surtout attaquant le Hezbollah. Dans un entretien à la chaîne al-Jadeed, Sakr, qui est plutôt avare en interviews depuis son retour au Liban, a tenu les mêmes propos qu’il tenait il y a quatre ans, avec aussi la même véhémence. C’est d’ailleurs une décision subtile de demander à l’un des deux députés chiites du bloc du Futur de répondre à la déclaration du président sur le Hezbollah pour éviter des surenchères confessionnelles qui plomberaient les fragiles retrouvailles libanaises.
D’autres personnalités du Futur ont suivi l’exemple de Okab Sakr en critiquant cette déclaration, mais toujours selon un plafond, fixé, d’après la source précitée, par Saad Hariri lui-même. Ce dernier ne veut en aucun cas remettre en cause ses « bonnes relations » avec le chef de l’État, mais il ne pouvait pas, pour sa crédibilité, surtout face à Rifi, laisser passer une telle déclaration sans réagir. Aujourd’hui, c’est lui qui remettra les pendules à l’heure dans le discours qu’il prononcera à l’occasion de la douzième commémoration de l’assassinat de Rafic Hariri, dans lequel il devrait rappeler les constantes du courant qu’il préside, tout en insistant sur sa volonté de coopérer avec le chef de l’État pour préserver la stabilité du pays.
Toujours selon la source proche du courant du Futur, Saad Hariri aurait donné des instructions à ses collaborateurs de ne pas se lancer dans une polémique violente avec le chef de l’État et ses proches sur cette question, estimant qu’il vaut mieux minimiser le sujet et précisant que les réactions critiques sont destinées à faire taire ceux qui cherchent à utiliser cette phrase contre la politique du courant du Futur. Même son de cloche dans l’entourage du chef de l’État qui ne veut pas donner beaucoup d’ampleur à cette question, tout en précisant que le chef de l’État a exprimé son opinion en toute franchise comme il le fait à toutes les occasions et sur tous les sujets. L’entourage du président dément les analyses de certains sur une prétendue volonté de sa part de rassurer le Hezbollah après sa visite à Riyad et à Doha, assurant que le Hezbollah n’a nul besoin d’être rassuré car la confiance est totale entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah. L’entourage du président affirme aussi que la position du chef de l’État au sujet des armes du Hezbollah n’est pas nouvelle. Il l’avait développée dans son projet de protection du Liban, qu’il avait présenté aux participants à la conférence de dialogue national.
Pour lui, c’est une question de principe et de stratégie, et cette vision ne devrait pas servir de matière à polémique mais être discutée avec calme et ouverture dans un contexte adéquat.
Toutefois, selon des sources proches du Hezbollah, la véritable raison des protestations de certaines personnalités du courant du Futur ou du PSP serait à chercher dans la volonté déclarée de Hassan Nasrallah d’adopter la proportionnelle comme mode de scrutin de la loi électorale en préparation. La déclaration du président aurait donc servi de prétexte, mais aussi bien le Futur que Walid Joumblatt ne veulent pas entendre parler d’un projet de loi basé sur la proportionnelle. Ce serait donc là le véritable enjeu des tensions actuelles.