Je me répète toujours pour me rassurer, que je dois regarder devant moi et avancer imperturbablement car le train est en marche et on ne peut ni en descendre, ni sauter. S’il s’arrête pour nous, c’est de manière définitive.
Cette fois encore, il va falloir surmonter, la violence de l’année écoulée. Avec tous les attentats à travers le monde et les atteintes aux droits des civils, qui viennent se multiplier et s’ajouter à toutes les victimes depuis l’an 2000, où la planète a basculé dans une nouvelle ère et un nouveau siècle. 2017 nous indique que nous sommes presque à la clôture, de la deuxième décennie du siècle, sans savoir toujours exactement vers quel avenir, nous nous acheminons.
J’ai toujours cette sensation douloureuse que la violence dans le monde nous mutile psychologiquement et se répercute physiquement sur nous. Il y a de plus en plus d’images qui nous parviennent et nous donnent l’impression, de perdre une partie de nous-mêmes, d’entamer notre intégrité humaine.
Soudain je me dis que je dois mettre de l’ordre, plutôt que de subir cet irrationnel du monde ou de me réfugier dans le déni. Je suis envahi, d’un sentiment de culpabilité de ne rien pouvoir faire, de me retrouver diminué et démuni. Et tous ces êtres en plein désarroi, livrés à eux-mêmes, auxquels on ne peut s’empêcher de s’identifier et qui vous fixent les yeux grands ouverts dès que vous fermez vos propres yeux. Ce sont surtout des visages d’enfants ensanglantés ou épouvantés, qui se collent sur les crèches joyeuses et sur les vitrines illuminées car les enfants ne peuvent pas comprendre et ils se retrouvent blessés à vie. Comment leur expliquer que la violence fait partie intégrante du monde et qu’il va falloir dorénavant vivre avec ?
Un homme jeune m’interpelle dans la rue par mon prénom. Je m’arrête décontenancé. Il me dit qu’il avait été mon étudiant il y a 25 ans, au siècle dernier et que je n’avais pas vraiment changé mais que ma barbe et mes cheveux étaient devenus presque gris. Nous sommes en 2017 et il préparait un événement culturel autour de la commémoration de l’année 1917, année de la révolution russe et du débarquement naval américain. Les portraits de Poutine et de Trump se superposent. Ils représentent le pouvoir acharné du monde.
Un enfant à ma vue, tout habillé de rouge, se met à crier à tue-tête : « c’est le père Noël, c’est le père Noël !!» Sa mère essaie de le faire taire embarrassée. Je souris et cela me rassure ponctuellement, de ne plus exister, d’être une sorte d’illusion qui rend la vie plus supportable, à défaut d’un cadre de rationalité.
Tout s’emmêle dans mon esprit : le solstice d’hiver, la nativité, le père Noël, la panique d’une année perdue, la frénésie d’une année nouvelle et puis sans crier gare défilent devant mes yeux, les photos d’Alep, l’interminable calvaire syrien, les migrants échoués en mer, les réfugiés parqués dans les camps, l’attentat sur l’esplanade de Nice, celui du marché de Noël à Berlin, l’ambassadeur de Russie tué à bout portant presqu’en direct, les cadavres en Irak, en Syrie, en Egypte, en Libye ,en Russie ,aux Etats-Unis, en Afrique, en Chine ou n’importe où dans le monde…Des images qui traversent agressivement la rétine et blessent férocement l’âme.
Heureusement qu’il y a encore le regard lumineux et limpide de Michèle Morgan, qui vient de disparaître, âgée presque d’un siècle, avec l’éternelle réplique douce et tendre de Jean Gabin : « T’as de beaux yeux, tu sais »
Il faut préserver coûte que coûte sa part de rêve car dans quelques jours, aux douze coups de minuit, étalés sur 24 heures à travers le monde, un chiffre va s’illuminer : nous sommes déjà en 2017.