Assis dans sa vigne de la Bekaa libanaise, entre des plants de sauvignon blanc et de tempranillo, Michel Emad, militaire retraité et père de deux adolescents, se souvient de l’époque aujourd’hui révolue où il cultivait du cannabis.
“Tout le monde plantait du haschisch, c’était la demande du marché, il n’y avait pas d’agriculture alternative”, se justifie le quinquagénaire aux cheveux poivre et sel soigneusement coupés.
Aujourd’hui, à l’instar des 220 cultivateurs de la coopérative des Coteaux d’Héliopolis, il fait pousser du raisin destiné à la vinification, dans la campagne à Deir Al-Ahmar, dans le nord de la plaine de la Bekaa.
Cette région déshéritée de l’est du Liban est célèbre pour la culture illégale du haschisch, qui s’est développée ces dernières décennies jusqu’à devenir une industrie rapportant des millions de dollars.
Mais c’est pourtant là que la petite coopérative a réussi un pari fou: convaincre les cultivateurs de remplacer le cannabis par des vignes certifiées bio en profitant de la popularité croissante du vin libanais sur le marché international. “Avec le haschisch, tu te sens toujours menacé par les autorités, tu ne peux pas dormir tranquille: il y a le risque d’aller en prison, que l’Etat arrache tes plantations”, raconte M. Emad, cigarette à la main et lunettes de soleil sur le nez, installé à l’ombre d’un arbre.
Avoir ‘la conscience tranquille’
Face à son vignoble, de l’autre côté de la route terreuse, une petite plantation de cannabis qui appartient à un autre paysan dévoile encore ses hautes tiges. Trois ans durant, au début des années 2000, Michel Emad a cultivé du haschisch, comme nombre de villageois de la Bekaa qui y voient le seul moyen de faire vivre leur famille. A deux reprises, ses plantations ont été détruites par les forces de sécurité, qui mènent régulièrement des raids dans la région.
En 2003, il a rejoint la coopérative. “Cultiver du raisin, ça rapporte plus et tu as la conscience tranquille”, souligne-t-il. Cette année, avec neuf tonnes récoltées sur deux hectares de vignes, il a gagné 10.000 dollars (8.450 euros). Soit le double de ce que la production de chanvre lui rapportait.
Lancée en 1999, la coopérative des Coteaux d’Héliopolis regroupe désormais quelque 250 hectares de vignes à Deir Al-Ahmar. L’engouement des cultivateurs s’est manifesté après les premières vendanges – et les premières rentrées d’argent – en 2003. “On a prouvé que les gens ne veulent pas cultiver le haschisch, ils sont contraints et c’est leur seule source de revenus, mais ils ne veulent pas vivre dans l’illégalité et dans la peur”, s’enorgueillit Chawki El-Fakhri, ingénieur à la retraite et directeur de la coopérative.
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Alternative lucrative et légale
“Si vous proposez aux gens une alternative, une agriculture lucrative et légale, ils l’adoptent immédiatement, et sans hésitation”, poursuit-il dans le jardin de la maison familiale construite par son grand-père. Sourire amusé, ce sexagénaire à l’élégante chevelure blanche reconnaît que son propre père et ses oncles avaient été tentés par la culture du haschisch. Mais son grand-père, curé de Deir Al-Ahmar, s’y était fermement opposé.
Les Coteaux d’Héliopolis se sont montés avec l’aide technique et financière du département français de l’Oise, avant de se développer grâce à des prêts contractés par la coopérative pour permettre aux cultivateurs de réhabiliter leurs terres et de planter divers cépages. Aujourd’hui, les vignobles sont constitués de syrah, tempranillo, cabernet sauvignon, mais aussi de sauvignon blanc et de viognier.
“Ce sont des cépages qui vont d’abord aimer le soleil, la chaleur, et qui pourraient marcher en altitude”, explique Charbel El-Fakhri, le fils de M. Chawki, qui a suivi des études de viticulture à Bordeaux.
‘Cité du soleil’
Le raisin récolté, soit près de 400 tonnes en 2017, est principalement vendu aux plus grands producteurs de vin du Liban, comme le Château Ksara (fondé en 1857) ou encore le Domaine Wardy, l’un des plus anciens du Liban. La coopérative s’est lancée timidement dans la production de son propre vin, mais en est encore à ses premiers balbutiements, avec 100.000 bouteilles en 2017, une petite fraction des huit millions de bouteilles produites chaque année au Liban.
“Je crois honnêtement que le blanc est notre petite merveille: on a une fraîcheur qui est remarquable. On a aussi un rouge particulièrement frais et fruité”, poursuit Charbel el-Fakhri. Le nom de la petite coopérative, les Coteaux d’Héliopolis, n’est pas anodin: il a été choisi en hommage à la “cité du soleil” toute proche, Baalbek, l’ancienne “Héliopolis” des Romains, où était célébré le culte de Bacchus, dieu du vin.
“Les Romains n’ont pas trouvé cet endroit par hasard. A l’origine, toute cette région était plantée de vignobles”, s’enthousiasme le trentenaire. “Notre terroir est exceptionnel”.
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