Dans la petite cour de la municipalité de Deir Qanoun-Ras el-Aïn (caza de Tyr), en cette Journée ensoleillée de la femme, le 8 mars, médias et personnalités locales étaient accueillis par le sourire de Daad Mahmoud Ismaïl, présidente de la coopérative Mawassem el-Dayaa, et de ses amies.
Et il y avait de quoi sourire : les 23 femmes qui travaillent si durement à faire fonctionner cette coopérative d’aliments traditionnels vont pouvoir dépasser la malédiction des coupures de courant. Sur le toit du petit bâtiment blanc qui jouxte la municipalité, les panneaux photovoltaïques font désormais face au superbe panorama vert de la vallée, avec ses maisons en toits de tuile et même son cimetière. Sur le mur de la coopérative, l’emblème de Greenpeace avec des mots de remerciement : l’installation solaire a en effet été acquise grâce à un crowd funding lancé par l’organisation, pour une somme globale de 12 000 dollars récoltée grâce à des donateurs individuels.
Pour les femmes de cette coopérative, l’enjeu est de taille. « Nous avons toutes sortes de machines qui rouillent sur place parce que nous ne pouvons pas les utiliser », explique Daad Ismaïl, lors d’une tournée des lieux. Dans ce coin reculé du pays, le rationnement de courant est particulièrement sévère, et le générateur au mazout est cher et polluant.
Le système multifonctionnel installé dans la coopérative de Deir Qanoun fournit dix ampères à partir de l’énergie solaire. Ce système donne la priorité à l’énergie solaire, et dès que celle-ci ne peut plus suffire, il passe automatiquement à l’électricité de l’État. Daad Ismaïl précise que, selon les tests déjà effectués, cette installation solaire peut faire fonctionner toutes les machines pratiquement, parce qu’elles sont monophasées. Une seule machine triphasée ne peut fonctionner sans électricité de l’État. Le résultat, c’est que le générateur à mazout ne sera utilisé que très rarement puisque le système photovoltaïque suffira pour leur travail quotidien, précise-t-elle. Le système solaire avait été installé la veille de l’inauguration (que Greenpeace a voulu faire coïncider avec la Journée mondiale de la femme), et a été testé avec succès pour toutes les machines, affirme l’organisation.
Temps, efforts et argent
Les conséquences seront positives et nombreuses pour ces femmes. « Nous passons des heures à tout fabriquer à la main, les machines nous feront faire une grande économie de temps et d’efforts », explique Zeinab Siklawi, vice-présidente de la coopérative. Les femmes se plaignaient en effet souvent de maux de dos et de séparation de leurs familles durant de trop longues heures. Sur un autre plan, l’énergie solaire leur permettra de faire des économies à long terme puisqu’elles leur épargneront les dépenses du générateur, environ les deux tiers de leurs factures d’énergie selon Greenpeace.
Julien Jreissati, porte-parole de Greenpeace, a lié ce projet à la campagne pour la promotion de la production d’électricité à partir de l’énergie solaire photovoltaïque comme alternative aux générateurs privés, lancée par l’organisation l’année dernière. « Nous avons voulu réaliser un projet qui soit un exemple sur le terrain, une success story, a-t-il affirmé. Nous avons formé douze jeunes de cette région à l’installation et l’entretien de l’énergie solaire. Nous avons ensuite installé un système photovoltaïque et un chauffe-eau solaire, ainsi qu’un éclairage économique. »
Personnalité renforcée
S’il était si important de soulager les femmes de cette coopérative d’une partie de leur fardeau, c’est qu’elles sont l’exemple d’une détermination peu commune. À l’origine des femmes au foyer, ces battantes ont construit leur entreprise par leurs propres efforts, comme l’explique aux médias Daad Ismaïl, qui dévoile des talents de brillante communicatrice. « Nous étions douze au départ, en 2005, dit-elle. Aujourd’hui nous sommes 23. À nos débuts, nous n’avions pas le sou. Nous avions le choix de contracter des prêts ou de collecter l’argent entre nous, puis de nous lancer avec un budget très limité, mais sans intérêts à payer. Nous avons opté pour le second choix : chaque femme a payé la petite somme dont elle était capable, et lorsque nous avons généré les premiers bénéfices, nous avons récupéré ces sommes. »
Les femmes ont certainement été encouragées par des associations spécialisées à leurs débuts, comme l’indique Zeinab Siklawi, mais c’est leur incroyable confiance en elles qui les a poussées à persévérer. Or leur chemin devait être semé d’embûches. « La guerre de 2006 nous a fait repartir de zéro, alors que nous décollions à peine, explique Daad Ismaïl. Le bâtiment occupé par la coopérative a été très endommagé, une ferme qui y était attenante a été complètement détruite par les bombardements israéliens. Mais il nous en fallait plus pour nous décourager : nous avons recommencé le travail à partir de la maison de l’une d’entre nous jusqu’à ce que nous nous remettions debout. » Aujourd’hui, les produits de la coopérative sont vendus jusqu’à Beyrouth. « Et nous nous attendons à progresser énormément quand nous pourrons utiliser toutes nos machines grâce à l’installation solaire », ajoute Daad Ismaïl.
Ces femmes étaient toutes des femmes au foyer, que le travail a beaucoup changées. « Nous espérons même pouvoir recruter davantage de travailleuses, afin que les femmes puissent acquérir de l’indépendance et ne plus dépendre de personne, affirme-t-elle. La coopérative a beaucoup changé notre vie sociale et même familiale. Notre personnalité s’en est trouvée renforcée, notamment avec notre nouvelle autonomie financière. Même à la maison, les membres de la famille sont devenus plus compréhensifs et ont appris à nous aider en comptant davantage sur eux-mêmes. »
« Nous avons décidé d’organiser cette inauguration durant la Journée internationale de la femme pour souligner jusqu’à quel point les femmes sont souvent le maillon le plus vulnérable de la société dans notre région, et montrer que l’énergie renouvelable peut servir à augmenter les capacités des femmes par un accroissement de leurs revenus et une amélioration de leur vie sociale », conclut Julien Jreissati.
UNE PETITE GALETTE DÉLICIEUSE ET UNIQUE
Pour se démarquer des nombreuses autres coopératives agricoles de la région, la coopérative Deir Qanoun-Mawassem el-Dayaa a adopté une stratégie judicieuse. « Nous nous sommes tournés vers un produit très ancien qui n’était manufacturé que dans notre village, appelé Mallet Smid », explique Daad Ismaïl. Cette galette très riche en fibre est composée de blé concassé, de sésame et de farine, dont la pâte est pétrie avec de l’huile d’olive. Nos aînés la prenaient avec eux quand ils allaient au pèlerinage à La Mecque, en bus : cette galette a l’avantage de durer très longtemps sans pourrir, et d’être nourrissante et légère à la fois.
Cette galette allait disparaître car sa confection est bien trop dure. Or son succès a été immédiat auprès des clients de la coopérative. Aujourd’hui, ce produit hors du commun, délicieux, au goût unique, représente à lui seul 50 % des ventes de la coopérative