En dépit de la déclaration quasi catégorique du ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk dans le cadre de son entretien télévisé à la LBCI, les discussions se poursuivent au sujet d’un nouveau projet de loi électorale. Jeudi soir, le ministre avait affirmé que les délais sont devenus trop courts et qu’il compte convoquer les collèges électoraux sur la base de la loi dite de 1960 actuellement en vigueur, en raison du manque de temps nécessaire à l’adoption d’une nouvelle loi. Cette phrase a divisé la classe politique entre ceux qui estiment que le ministre de l’Intérieur a eu le mérite de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas et qu’en réalité l’organisation des élections sur la base d’une nouvelle loi est pratiquement impossible, et ceux, au contraire, qui affirment qu’il est encore temps de s’entendre sur une nouvelle loi, sachant que les projets ont été largement étudiés et qu’il ne manque plus qu’une décision politique.
De son côté, le chef de l’État Michel Aoun a répété, dans la foulée de sa visite à Riyad et au Qatar, que les élections législatives auront lieu sur la base d’une nouvelle loi. Devant ses visiteurs, le président rappelle d’ailleurs que cela fait des années que les différentes parties politiques étudient tous les projets de lois possibles et qu’elles ne peuvent se présenter aujourd’hui devant les citoyens pour leur dire « nous n’avons pas eu assez de temps pour nous entendre. Il faut donc nous accorder un délai supplémentaire ». C’est la crédibilité, déjà bien malmenée, de la classe politique dans son ensemble qui est mise en jeu et il est difficile de trouver des prétextes convaincants pour obtenir un nouveau report, d’autant que les questions sécuritaires ne peuvent plus (en principe) être invoquées.
L’équation est donc la suivante : les élections législatives doivent avoir lieu cette année, tout comme les élections municipales, à la tenue desquelles nul ne croyait vraiment, ont eu lieu envers et contre tous en mai 2016. Reste à préciser sur la base de quelle loi et c’est là que les enjeux sont divergents. Il y a ceux qui, un peu par souhait personnel et un peu par réalisme, estiment que si l’on veut maintenir la date du mois de mai, il faudra se résoudre à garder la loi actuelle. Face à eux, il y a ceux qui croient qu’il est possible de s’entendre sur une nouvelle loi, quitte à décider d’un report technique de quelques mois, d’autant que les nouvelles alliances et le climat politique général réduisent les divergences entre les différentes parties.
Pour tous en tout cas, la priorité est de préserver la stabilité du Liban face à la tempête qui souffle sur la région. Or, cette stabilité – qui est en grande partie due à la vigilance des services de sécurité et des forces militaires en coopération avec le Hezbollah – reste fragile tant qu’elle n’est pas consolidée par un accord politique. Cet accord passe par la tenue d’élections législatives pour renouveler la légitimité des forces en présence. Comme le nouveau mandat a affiché la couleur (il se veut rassembleur, n’excluant aucune force), le pari est donc de trouver une nouvelle loi qui permette de reproduire, à quelques nuances près, le paysage politique actuel, avec des modifications dans les volumes.
Tout en prenant la déclaration du ministre de l’Intérieur au sérieux, les différentes parties politiques s’emploient donc à étudier plusieurs formules proposées. Trois d’entre elles ont d’ailleurs été énoncées par le chef du CPL le ministre Gebran Bassil, à l’issue d’une des réunions hebdomadaires du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme. La première repose sur le principe « one man multiples votes » qui donne à l’électeur la possibilité par exemple d’élire trois députés dans une circonscription qui en compterait dix. Ce qui ressemble à un vote préférentiel dans un système majoritaire. La deuxième formule consiste en un vote en deux étapes : la première est une élection majoritaire au caza et la seconde une élection proportionnelle au niveau du mohafazat. La troisième formule proposée repose sur le principe de la mixité : dans les circonscriptions où la majorité (60 %) des électeurs appartiennent à une même confession, le mode de scrutin adopté sera majoritaire (pour satisfaire les grandes formations confessionnelles comme le courant du Futur ou le PSP de Walid Joumblatt), et dans les circonscriptions mélangées, le mode de scrutin sera proportionnel pour réserver une place aux minorités confessionnelles.
Ces formules – en plus des projets déjà existants, comme le projet du président de la Chambre Nabih Berry (présenté par le député Ali Bazzi) qui prévoit l’élection de 64 députés conformément au scrutin majoritaire et celle des 64 autres selon le scrutin proportionnel – font donc actuellement l’objet de discussions poussées et d’évaluations accélérées. Mais dans certains milieux, on pense plutôt que la formule qui a le plus de chances d’être retenue est le maintien de la loi actuelle, avec toutefois quelques modifications dans la répartition des sièges et dans les circonscriptions, de manière à réduire le nombre de députés élus sur les grandes listes, indépendamment de leur représentativité réelle dans leur circonscription. Il s’agit par exemple de déplacer le siège maronite de Tripoli et le siège maronite de Baalbeck-Hermel ou encore de détacher les bourgades de Bar Élias et Majdel Anjar de la circonscription de Zahlé pour les joindre à celle de la Békaa-Ouest… De même, il est question d’enlever le siège druze de Beyrouth pour le placer au Chouf. Ce qui consacrerait le leadership de Walid Joumblatt sur cette circonscription indépendamment de l’alliance entre les FL et le CPL… Ce ne sont là que quelques exemples des ajustements possibles. Ce qui est sûr, c’est que toutes les parties politiques se concentrent sur les prochaines législatives