Une pluie d’obus de mortier vient de s’abattre sur Bab-Touma, le quartier chrétien du centre historique de Damas. Des attaques similaires ont été menées contre la place des Abbassides (nord-est de la ville) où les jihadistes cherchent depuis plusieurs années à détruire une base d’hélicoptères de combat installée dans le stade national. N’ayant pas fait de victime, ces différentes opérations mal ciblées résonnent certainement comme le chant du cygne d’une rébellion en bout de course. Chaque jour, des centaines d’activistes déposent les armes pour négocier leur reddition, tandis que l’armée nationale syrienne progresse inexorablement dans la partie Est d’Alep encore aux mains d’Al-Qaïda en Syrie, alias Jabhat al-Nosra.
Prévue avant la fin de l’année, la reconquête intégrale de la deuxième ville du pays va marquer un tournant majeur dans la guerre civilo-internationale qui ensanglante la Syrie depuis plus de cinq ans. En effet, elle va libérer quelque 30 000 combattants de l’armée syrienne qui vont pouvoir se redéployer à l’Est du pays en direction de Deir ez-Zor, sur l’Euphrate, afin d’appuyer un mouvement tournant pour reconquérir la ville de Raqqa, le bastion syrien principal de Dae’ch. Cette manœuvre annoncerait le début de la fin de la rébellion syrienne et la reconquête complète du territoire national par son armée et ses autorités.
Washington, Riyad, Tel-Aviv et les capitales européennes ne l’entendent pas de cette oreille, misant toujours sur une fragmentation territoriale et politique de la Syrie, partition du pudiquement baptisée « solution fédérale », l’objectif étant de faire dans ce pays, ce qui a été accompli dans les Balkans, en Irak et en Libye, à savoir la destruction de toutes infrastructures régaliennes et autres structures politiques et services publics. Ayant compris qu’il ne suffira pas de recycler les groupes jihadistes – même « rebaptisés » après avoir renoncé publiquement à « toute » relation avec Al-Qaïda (quelle bouffonnerie !) – pour empêcher l’armée syrienne de reconquérir la totalité de son territoire national, Washington a décidé de miser sur les groupes kurdes en les armant massivement.
Désormais, une course de vitesse est bien engagée entre Américains et Russes pour, après Mossoul, prendre le contrôle Raqqa. En réponse à la reconquête d’Alep, les Américains veulent appuyer les Kurdes dans leur offensive sur Mossoul. Celle-ci ne manquera pas de provoquer un repli des groupes terroristes de Dae’ch sur Raqqa afin de fixer, sinon d’épuiser la coalition russo-syrienne.
Début octobre, une noria de C-130 américains a débarqué quelque 1500 tonnes de matériels (missiles antichars, systèmes de visée nocturne et consoles de transmission) sur l’aéroport militaire de Rimelan (extrême Nord-Est de la Syrie, près de la frontière irakienne non loin de Mossoul). A ces livraisons « classiques » s’ajoutaient – et c’est sans doute une première – des blindés légers armés de mitrailleuses et de canons sans recul. Jusqu’à maintenant, Washington n’avait livré aux Kurdes que des Humvee de transport. C’est dans cette même région verrou que se concentre aussi le tiers de la production pétrolière de Syrie.
La nouvelle plateforme de Rimelan complète des trois autres aéroports militaires américains (Abou Ajar, Kobané et Tal Abyad à 500 mètres de la frontière turque). Depuis ces différents terrains s’effectuent différents mouvements de troupes et matériels qui convergent en direction de la localité d’Al-Bab – 60 000 habitants – (à trente kilomètres au Nord-Est d’Alep), convoitée à la fois par les Russes, les Américains et les Kurdes. C’est le dernier fief le plus important du nord de la Syrie qui reste aux mains de Dae’ch (les Katiba de Jound al-Khilafa, les forces syriennes de Dae’ch).
Mais une fois encore, les Kurdes risquent d’être les dindons de la farce. L’armée turque vient d’ouvrir plusieurs accès en direction d’Afraïm, le cœur même des zones kurdes, désormais extrêmement menacées. L’objectif d’Ankara est parfaitement clair : casser toute continuité territoriale entre les zones contrôlées par les Kurdes afin d’éviter qu’ils ne prétendent à la reconnaissance de toute espèce d’entité quel que soit son statut (région autonome, province transfrontalière ou micro-Etat). En dépit des dernières livraisons de blindés et d’armes antichars, ni les Américains, ni les avions de la grande Coalition internationale ne les aident, le commandement kurde criant à la trahison et commençant par comprendre que leur combat est plus que jamais, instrumentalisé à la fois par Washington, Paris et Moscou…
Parallèlement, l’offensive pour reconquérir Alep se poursuit, maison par maison, rue par rue… Dans la zone d’Alep-Est, il faut distinguer le Nord (peu densifié : maisons basses et bidonvilles) et le Sud (très urbanisé, immeubles de cinq étages et petits blocs, rues étroites difficiles d’accès). Le Nord est tenu par des groupes locaux avec lesquels l’armée gouvernementales a engagé des négociations de désarmement. Le Sud est tenu par les Katiba Zinki (du nom du cheikh Nourredine Zinki, un vieux héros de la mythologie islamiste). Leur chef Toufik Cherhabidine est un vieil ami des Frères musulmans turcs.
Dans ce contexte, les Russes déploient deux stratégies concomitantes : pousser l’armée syrienne à reprendre contact avec les groupes locaux (certains sont infiltrés depuis longtemps par des moukhabarat) en proposant notamment de sécuriser des passages d’exfiltration pour ceux qui acceptent de quitter l’Est d’Alep et de déposer les armes ; poursuivre les bombardements des états-majors enterrés, casser la logistique et détruire les stocks d’armes. Dans ces conditions, les Katiba sont coupées de leur état-major central et des commandements locaux prennent la suite de manière isolée, sans coordination, ni vision d’ensemble. Par conséquent, l’armée gouvernementale continue à progresser de manière substantielle.
La bataille finale se déroule maintenant au sein des quartier (Nord et Sud) de l’Est de la ville. Les blindés syriens restent aux portes des quartiers aux ruelles trop étroites et appuient des unités des forces spéciales. Depuis quatre ans, c’est la première fois que les deux lignes de défense de la zone Est sont ainsi transpercées et que les combats se déroulent maintenant au sein même du tissu urbain. Les Russes veulent maintenant en finir, estimant que la brouille durable avec Washington ouvre une fenêtre opportune pour « finir le travail », estime un officier général syrien.
Une phase cruciale de la bataille d’Alep se déroule autour du passage du « Castello », porte d’entrée par le Nord de la zone Est. Du nom d’un restaurant connu, ce passe relie l’agglomération d’Alep à l’ensemble des villages de toute la zone très peuplée en direction d’Idlib qui reste l’un des points les plus forts de Jabhat al-Nosra.
D’ores et déjà, c’est l’après Alep qui se joue. La reprise complète de la ville libérera le troisième corps d’armée syrien (30 000 hommes) qui pourra se redéployer dans d’autres régions, notamment vers Deir ez-Zor et Raqqa où s’intensifie la course de vitesse dont nous parlons entre l’alliance syro-russe appuyée par les Pasdarans iraniens et le Hezbollah libanais, et la Coalition internationale de Washington, les Kurdes étant instrumentalisés par les uns et les autres comme variable d’ajustement à leurs tribulations tactiques…
Une véritable guerre psychologique est engagée par l’armée et les services spéciaux syriens pour amener les groupes de l’Est d’Alep à se réfugier dans la partie ouest de la ville. Se multiplient discussions et versements d’argent aux chefs de tribus, de familles et hommes d’affaires… De vieux contacts et filières ont été réactivés depuis le mois d’août afin de reconquérir la totalité de l’agglomération.
Dernièrement, le président russe Vladimir Poutine a rencontré son homologue turc Recep Erdogan. L’un des principaux sujets de discussion : les dernières livraisons massives de matériels américains aux Kurdes. Si la réponse américaine à la reconquête d’Alep se confirmait en jouant la carte kurde, on comprend difficilement comment Washington laisse opérer l’armée turque en territoire syrien au point de menacer le cœur du dispositif kurde… Plusieurs observateurs militaires européens et arabes relèvent des divergences d’approche au sein même du Pentagone et des services américains alors que les Etats-Unis abordent la phase finale de leur élection présidentielle, qualifiant de « folle » la dernière évolution des opérations militaires en cours en Irak et en Syrie.
Sur cette diagonale du fou Mossoul/Alep, il n’échappe à personne que la propagande médiatique bat son plein plus que jamais… Les opérations aériennes de la Coalition internationale, menées par les Etats-Unis (pas moins de 60 pays), sont qualifiées de « frappes », évidemment « chirurgicales », tuant essentiellement les « méchants » en évitant de frapper les « gentils », c’est-à-dire les « dégâts collatéraux ». Les opérations analogues des aviations russe et syrienne contre les réduits salafo-jihadistes d’Alep-Est sont simultanément condamnés comme des « bombardements extrêmement meurtriers », tuant, le plus souvent des « civils innocents ». A Mossoul, les civils servent de boucliers humains aux terroristes, à Alep ils sont les « cibles délibéres » des bombardements…
Dans tous les cas de figures, Mossoul doit être « libérée », « reconquise », tandis qu’Alep est « encerclée » et « assiégée » par sa propre armée nationale… Comprenne qui pourra, toujours est-il que les chasseurs de l’Arabie saoudite (qui font partie de la Coalition internationale) continuent de détruire consciencieusement le Yémen, y menant un génocide dont personne (ou presque) ne parle.
Même si elle est de moins en moins « protégée », la dictature saoudienne n’en continue pas moins de produire ses atrocités, dont le financement réfléchi de l’Islam radical dans le monde entier, sans beaucoup inquiéter les « régimes » de Barack Obama, de François Hollande, de Theresa May ou d’Angela Merkel