Pour beaucoup d’observateurs, la situation politique d’aujourd’hui ressemble fort à celle qui a précédé la vacance à la tête de l’État, lorsque toutes les parties internationales et de nombreuses parties internes mettaient l’accent sur le grand danger que constitue pour le Liban la non-élection d’un président dans les plus brefs délais.
Les prévisions alarmistes s’étaient alors multipliées, en principe dans un souci de réalisme à cause de la proximité de la Syrie et l’impact de sa guerre sur l’intérieur libanais. Mais en réalité, il s’agissait aussi d’un moyen de pression sur les différents protagonistes pour élire un président au plus vite. En fait, les pressions étaient surtout adressées au général Michel Aoun qui s’accrochait à sa candidature et au Hezbollah qui l’appuyait depuis le début. Jusqu’à la dernière minute, la plupart des parties politiques n’étaient pas convaincues de l’imminence de l’élection de Michel Aoun à la tête de la République le 31 octobre 2016. Même lors de la séance parlementaire destinée à cette élection, le suspense a duré jusqu’au bout, à travers les couacs (voulus ou non) dans le dépouillement des bulletins de vote.
Selon certaines informations, le plan aurait consisté d’ailleurs à gagner du temps au point de pousser le général Aoun à sortir de ses gonds. Ce qui aurait contraint le président de la Chambre à lever la séance et à fixer un nouveau rendez-vous. Ces informations partaient du principe que l’arrivée de Michel Aoun à la présidence est impossible parce que, au fond, personne ne veut de lui, en particulier son allié affiché, le Hezbollah. De même, pour un large éventail de parties politiques, l’Arabie saoudite restait opposée à son élection, et si elle a laissé à Saad Hariri toute la latitude d’agir comme bon lui semble, c’est parce qu’elle était convaincue que l’Iran ne souhaitait pas une élection présidentielle au Liban avant la présidentielle américaine. Elle pourrait alors utiliser cette carte à son profit. Cette théorie était véhiculée par des personnalités politiques en vue, dont certaines appuyaient même la candidature du général Michel Aoun. Dans le même sillage, certaines autres personnalités pressaient Aoun de présenter « un plan B » pour ne pas plonger le pays dans l’inconnu.
M. Aoun a résisté à toutes ces pressions et, selon ses proches, il n’a jamais douté de l’issue finale de l’élection présidentielle parce qu’il avait compris avant tous les autres qu’il y avait un changement dans les rapports de force dans la région qui jouait en sa faveur.
Une fois élu, les parties qui avaient douté de son élection ont entamé une vaste campagne pour dire que Aoun président était différent de Aoun leader politique. Il serait donc devenu centriste. Preuve en est son choix d’aller à Riyad pour sa première visite à l’étranger en tant que président. Les déclarations ont commencé à se multiplier sur l’existence d’un accord irano-saoudien qui a permis l’élection de Michel Aoun à la présidence. Il s’agissait ainsi de montrer que cette élection ne constituait pas une victoire pour l’Iran et ses alliés, puisque Riyad a eu son mot à dire et ses exigences. De même, toujours selon ces analyses, Michel Aoun aurait conclu, pour se faire élire, des accords préalables avec le chef du courant du Futur qui consistaient à accepter de maintenir la loi électorale actuelle pour l’organisation des législatives de mai prochain. Il aurait même été jusqu’à promettre à Saad Hariri qu’il serait Premier ministre tant que lui resterait à Baabda. Il aurait aussi conclu des accords préalables avec le chef des Forces libanaises pour lui donner le même nombre de portefeuilles que son bloc parlementaire au sein du gouvernement, en plus d’un autre régalien.
Aujourd’hui, toutes ces informations, ces allusions ou ces analyses se sont avérées peu réalistes. À la première occasion, le président Aoun a exprimé ses positions sur le conflit syrien, sur la stratégie de défense et, surtout, sur les élections législatives. Il n’acceptera pas une nouvelle prorogation du mandat du Parlement, ni la tenue des élections sur la base de la loi actuelle. Immédiatement, ceux qui avaient inondé la scène médiatique d’informations sur un changement du général ont commencé à parler d’une nouvelle manœuvre qui n’ira pas loin. Une fois de plus, ils se trompent ou veulent tromper les Libanais. C’est vraiment mal connaître le président Aoun que de croire qu’il peut céder aux pressions, voire au chantage, estime-t-on dans son entourage. C’est aussi mal le connaître que de croire qu’il considère son élection à la présidence de la République comme une fin en soi ou un objectif. Il s’agit d’une étape dans son long combat pour le changement qui doit passer par le fait de rendre aux chrétiens les droits dont ils ont été spoliés. Non pas pour qu’ils recommencent à gouverner le Liban sans tenir compte des autres partenaires, mais pour les rassurer et les pousser à croire dans leur avenir dans ce pays. Michel Aoun a pendant plus de trois ans plaidé en faveur du « président chrétien fort ». Il a obtenu gain de cause. Mais si ce « président fort » ne parvient pas à provoquer un changement, ce sont tous les chrétiens du Liban ainsi que les autres communautés qui en paieront le prix, car aujourd’hui, les développements régionaux ont montré que toutes les communautés au Liban ont besoin les unes des autres et que les chrétiens sont un facteur de stabilité. Pour toutes ces raisons, Michel Aoun militera jusqu’au bout en faveur d’une nouvelle loi électorale