Il devient de plus en plus évident que la crise observée aujourd’hui au niveau de la presse mondiale n’a pas épargné les médias libanais, notamment la presse écrite arabophone dont une partie se débat avec de sérieuses difficultés financières. Si certains estiment que la situation actuelle de certains journaux est due à une mauvaise gestion administrative et financière, d’autres considèrent que le tarissement des sources de financement étrangères sur lesquelles certains médias locaux comptaient et la crise économique qui sévit dans le pays y sont également pour quelque chose.
Les licenciements se poursuivent ainsi dans les quotidiens les plus affectés, notamment chez notre confrère an-Nahar où un bras de fer est engagé entre les journalistes et la direction. Selon Habib Chlouk, directeur responsable de ce journal fondé en 1933, « l’administration propose de nous verser les 14 mois non payés, mais sans les indemnités de licenciement abusif, ce que nous refusons catégoriquement ».
À L’Orient-Le Jour, M. Chlouk a affirmé « comprendre » la situation actuelle du quotidien, mais il a dans le même temps insisté sur le fait que les journalistes « ne renonceront pas à leurs droits ». « Pour nous, il s’agit d’un licenciement abusif et nos droits doivent être respectés », a-t-il assuré. De sources bien informées, on apprend que les journalistes entendent former un comité de suivi qui sera chargé d’étudier les mesures à prendre à cet égard.
Face à ce sombre tableau, l’ordre des rédacteurs et le syndicat des photographes de presse ont pris fait et cause pour les salariés ayant perdu leurs emplois. Le conseil de l’ordre des rédacteurs a ainsi tenu hier une réunion extraordinaire pour discuter de la situation de la presse en difficulté, à l’heure où certains grands quotidiens du pays traversent des crises que certains qualifient d’ « existentielles ».
À l’issue de la réunion, le conseil a publié un communiqué dans lequel il a critiqué les « licenciements abusifs qui placent le journal devant des obligations légales, se rapportant notamment aux indemnités à payer aux journalistes ». Il a en outre souligné que son avocat est à la disposition de « tous les journalistes ayant perdu leur emploi et prêt à prendre en charge leurs dossiers afin de préserver leurs droits garantis par les lois en vigueur ».
Le conseil a vu dans « la crise que traverse aujourd’hui le secteur de la presse écrite une crise nationale que l’État devrait résoudre ». L’ordre des rédacteurs a rappelé aussi l’initiative qu’il avait proposée pour trouver une solution à ce problème épineux, qu’il avait présentée aux ministres de l’Information, du Travail et des Finances de l’ancien gouvernement. Celle-ci, rappelle-t-on, propose une série de mesures devant réduire les charges financières assumées par les journalistes.
À son tour, le syndicat des photographes de presse a tenu une réunion similaire au terme de laquelle il a invité ses membres arbitrairement licenciés à « ne signer aucun document avant de consulter ses avocats ».
« Une crise nationale »
D’aucuns se sont dit « étonnés » de ce que l’ordre des rédacteurs – premier concerné par la crise actuelle – se soit contenté de dénoncer les décisions d’an-Nahar et d’as-Safir (qui publie sa dernière édition demain), sans pour autant expliquer les démarches qui devraient être entreprises pour préserver les droits les plus élémentaires des journalistes. Ali Youssef, trésorier du conseil de l’ordre, a souligné que celui-ci a expliqué aux victimes de licenciement abusif quelques mesures pratiques pour préserver leurs droits.
À L’OLJ, M. Youssef a noté qu’« il s’agit, notamment, du refus d’être informé de la décision de licenciement oralement, sans un document écrit ». Prié de dire quelles démarches pratiques l’ordre envisage de prendre à l’avenir pour contribuer à régler cette crise, qui menace des centaines de familles, Ali Youssef s’est contenté d’indiquer que celui-ci « suit toujours de près le dossier du quotidien al-Mustaqbal, et qu’il a contribué à relever le montant des indemnités qui devaient être payées aux journalistes d’as-Safir ». Mais pour le trésorier du conseil de l’ordre, « ce que vit aujourd’hui le secteur de la presse n’est pas un simple problème financier qui devrait être réglé, pour indemniser les personnes licenciées. Loin de là. Il s’agit d’une crise nationale qui relève de la responsabilité de l’État. D’autant plus que le marché se bloque progressivement, ce qui signifie que plusieurs journalistes seront au chômage ». « Nous voulons assurer la continuité du travail de ces journalistes, dont une écrasante majorité peut encore exercer le métier », a-t-il encore dit avant d’estimer que ces derniers « peuvent toujours obtenir leurs indemnités par l’intermédiaire du pouvoir judiciaire ».
« Défendre les journalistes et la liberté »
De son côté, le ministre de l’Information, Melhem Riachi, se veut optimiste. Il a assuré ne pas éprouver des craintes quant à l’avenir de la presse libanaise. Interrogé par L’OLJ, le ministre (qui a évoqué le dossier hier avec le président de la République, Michel Aoun) a déclaré : « Mon premier souci est de protéger les journalistes parce que nous défendons la liberté, pas seulement le secteur de la presse. »
M. Riachi a fait savoir qu’il rencontrera les présidents des ordres de la presse et des rédacteurs, Aouni el-Kaaki et Élias Aoun, la semaine prochaine. Il devrait se réunir aussi avec l’administration d’an-Nahar pour discuter des mesures à même de sauver le quotidien et ses journalistes. Selon Melhem Riachi, « la mauvaise situation économique du pays laisse des retombées négatives sur les secteurs de la presse et de la publicité. Mais cela ne signifie aucunement que les quotidiens peuvent licencier les journalistes sans préserver leurs droits ».