En dépit des rumeurs qui circulent sur un scénario-surprise qui voudrait qu’après le premier tour, les députés de Berry feraient sauter le quorum pour empêcher l’élection présidentielle, celle-ci devrait bel et bien avoir lieu lundi. Selon des estimations proches du courant aouniste, il n’y aurait même pas besoin d’un second tour, le général Aoun pouvant obtenir les deux tiers des voix dès le premier vote. Selon ces estimations, des contacts sont actuellement entrepris avec toutes les parties pour assurer une majorité confortable au candidat aouniste. Michel Aoun s’est ainsi rendu chez le leader druze Walid Joumblatt, qui, de toute façon, avait dès le départ laissé la porte ouverte à une attitude positive.
De plus, le retour du président de la Chambre de son voyage à Genève devrait aussi permettre d’intensifier les concertations de dernière minute. Selon des sources proches du 8 Mars, Berry pourrait atténuer son opposition à l’élection du général Aoun, sachant que ses principaux griefs étaient les suivants : selon lui, Aoun avait paralysé le Parlement et le gouvernement, et il avait mis en échec la conférence du dialogue qui se tenait à Aïn el-Tiné. Or, depuis l’appui du chef du courant du Futur à sa candidature, Aoun a facilité la tenue d’une séance parlementaire pour ce qu’on appelle « la législation d’urgence », tout comme ses ministres ont assisté à la dernière réunion du Conseil des ministres. Reste la conférence du dialogue. L’idée de convoquer une nouvelle réunion avant l’élection présidentielle a été évoquée, mais, faute de temps, elle est difficile, sachant qu’elle exige des préparatifs sécuritaires spéciaux, alors que Berry était déjà pris hier par un entretien avec le ministre saoudien en visite à Beyrouth.
Grosso modo, les sources du 8 Mars estiment toutefois que Aoun a tenu compte, dans la mesure du possible, des exigences de Berry. Ces sources sont convaincues que le véritable problème de ce dernier est principalement avec le chef du courant du Futur. Les griefs du président de la Chambre à l’égard de Saad Hariri ont d’ailleurs été clairement exprimés au cours de la réunion du dialogue bilatéral entre le Hezbollah et le Futur à Aïn el-Tiné, avec la participation du ministre Ali Hassan Khalil. Selon les mêmes sources, ce dernier aurait rappelé comment le président de la Chambre a toujours protégé Saad Hariri, assurant une couverture chiite à toutes ses démarches et essayant de lui faciliter la tâche, même au plus fort de son conflit avec le Hezbollah. Berry avait même été jusqu’à dire qu’il alignerait sa position sur celle du chef du courant du Futur dans le dossier présidentiel, acceptant la candidature de Sleiman Frangié, lorsque le choix de Saad Hariri s’est fixé sur ce dernier.
Pourtant, lorsque Saad Hariri a changé d’avis, il n’a pas pris la peine d’en avertir auparavant le président de la Chambre, qui s’est senti ainsi dupé. C’est pourquoi il a décidé d’assurer le quorum parlementaire pour la séance d’élection présidentielle, mais il ne compte pas voter pour Aoun, arguant pour cela de son engagement envers Frangié, tout comme il menace de ne pas nommer Saad Hariri pour la présidence du Conseil dans les consultations obligatoires qui suivent la démission de l’actuel gouvernement.
Les sources proches du 8 Mars assurent toutefois que plusieurs médiateurs s’activent pour modifier la position de Berry et le pousser à désigner Saad Hariri à la présidence du Conseil. Les médiateurs cherchent aussi à rétablir les ponts coupés entre le chef des Marada Sleiman Frangié et le chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme Michel Aoun. Selon ces médiateurs, il s’agirait de rappeler à Frangié que Aoun a été franc et loyal avec lui dès le début en lui faisant part de son intention de présenter sa candidature à la présidence de la République. Même lorsque Frangié est venu l’informer de sa propre candidature, après l’avoir évoquée dans les médias, Aoun lui a répondu qu’il restait candidat.
S’il doit donc avoir des reproches à faire, ce n’est pas à Aoun qu’il doit les adresser. De plus, en multipliant les attaques et les critiques contre le chef du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, Frangié ne fait que dresser contre lui l’assise populaire de Aoun et la jeter en quelque sorte dans les bras du chef des Forces libanaises Samir Geagea, qui se présente désormais comme « le faiseur du président ». Une fois l’échéance présidentielle dépassée, Frangié a-t-il réellement intérêt à poursuivre son opposition au nouveau régime, sachant que, sur le plan des choix stratégiques, il en est très proche et qu’il devrait donc jouer un rôle important dans la gestion de la nouvelle étape qui commencera à partir de lundi ? Les sources proches du 8 Mars ajoutent aussi que l’opposition de Frangié à l’élection de Aoun a été évoquée au cours de la dernière rencontre entre le patriarche maronite Mgr Béchara Raï et le chef des Marada, le patriarche souhaitant que le président élu bénéficie d’un large soutien chrétien. De même, d’ultimes efforts sont déployés pour convaincre le chef des Marada de retirer sa candidature, d’autant qu’à mesure que le rendez-vous de l’élection présidentielle se rapproche, le nombre de voix destinées à Aoun augmente. Les proches de Frangié affirment au contraire que le maintien de sa candidature est un signe de dynamisme et de démocratie, et le chef des Marada est donc décidé à aller jusqu’au bout, même s’il n’obtient que trois voix (celles de son bloc parlementaire), comme il l’a lui-même affirmé. Au pays du retournement des situations, les dernières heures peuvent toutefois être porteuses de surprises..