Depuis sa prestation de serment le 20 janvier, le monde attend Donald Trump au tournant. Que fera-t-il de son mandat? A quoi ressembleront ses premiers pas en matière de politique étrangère, notamment dans l’Orient compliqué? Eléments de réponse.
Ce qui relevait du cauchemar pour certains est devenu, le 20 janvier, une réalité. A 70 ans, Donald Trump, milliardaire imprévisible honni par certains, a finalement prêté serment, succédant à Barack Obama dans le Bureau ovale. Il a maintenant quatre ans pour faire ses preuves et montrer au monde que son élection n’était pas une simple erreur de casting. Dès son discours d’investiture, le bouillonnant nouveau président a donné le ton. Après avoir scandé son slogan de campagne devenu leitmotiv, «Make America great again», Donald Trump a indiqué vouloir faire de la lutte contre l’islam radical sa priorité en matière de politique étrangère, déclarant sans ambages, vouloir «éradiquer le terrorisme islamique de la surface de la Terre». Une affirmation relayée quelques heures plus tard par un communiqué officiel émanant de la Maison-Blanche, dans lequel il est clairement signifié que «la lutte contre les groupes du terrorisme islamique et contre Daech», figurera au «top des priorités» du 45ème président américain. Pour y parvenir, l’Amérique «poursuivra les opérations militaires au sein de la coalition si nécessaire» et travaillera à «couper tout financement des groupes terroristes», via le «partage de renseignements» entre autres. Lors de sa première conférence de presse, le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a par ailleurs affirmé que «s’il y a une possibilité de combattre l’État islamique avec n’importe quel pays, que ce soit la Russie ou un autre, et que nous partageons un intérêt national sur la question, (alors) bien sûr, nous sommes preneurs».
Soutien à l’Egypte. Faut-il pour autant s’attendre à une action forte, du moins significative, ordonnée par le nouveau patron de l’US Army? Pour Fabrice Balanche, géographe spécialiste du Moyen-Orient et chercheur invité au Washington Institute, le fait que Trump ait insisté sur la lutte contre l’islam radical «tranche avec Barack Obama qui n’a jamais voulu utiliser ce terme, lui préférant “extrémisme” ou “fondamentalisme”. C’est dans ce domaine plus particulièrement que Donald Trump peut montrer ses muscles par des actions spectaculaires. Obama a éliminé Oussama Ben Laden après une longue traque, Donald Trump pourrait avoir envie d’avoir la tête d’Al-Baghdadi ou d’Ayman al-Zawayri». Par ailleurs, il souligne que le nouveau président «devrait accélérer les campagnes pour la libération de Mossoul et de Raqqa». «Il lui faut pour cela augmenter les forces américaines dans la région, renforcer ses alliés comme les Kurdes et l’armée irakienne, voire en créer une nouvelle avec la Russie. Al-Qaïda et Daech ne sont pas les seules cibles, les Frères musulmans sont également dans sa ligne de mire, car considérés eux aussi comme un vivier de terroristes, une menace», souligne Fabrice Balanche. Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, qui avait été le premier dirigeant arabe à féliciter Donald Trump, partage en effet les mêmes vues que son homologue américain à ce sujet. Le 23 janvier, on apprenait d’ailleurs que l’assistance militaire américaine au Caire devrait être poursuivie, afin de soutenir son combat contre le terrorisme.
Trois jours après l’arrivée du nouveau locataire de la Maison-Blanche, les regards étaient braqués sur la conférence d’Astana, organisée par la Russie au Kazakhstan afin de trouver une issue au conflit syrien. Malgré une invitation — tardive — au Département d’Etat, les Etats-Unis n’ont finalement envoyé sur place que leur ambassadeur dans le pays-hôte, le nouveau secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, n’ayant pas encore été confirmé par le Sénat à ce moment-là. Fabrice Balanche estime que «la nouvelle Administration américaine est embarrassée avec cette conférence, puisqu’elle est organisée par un pays proche de Moscou et aux conditions de Vladimir Poutine, après son écrasante victoire à Alep». «Dans ce contexte, analyse le chercheur, il était délicat pour Trump d’envoyer une délégation, cela aurait pu être interprété comme un acte de soumission à Vladimir Poutine». «Mais en diplomatie, ne rien faire, c’est faire quelque chose: l’absence des Etats-Unis signifierait qu’ils renoncent à jouer un rôle en Syrie», souligne Balanche. Selon lui, «les Etats-Unis n’ont plus guère de leviers dans la rébellion syrienne. Leur meilleur allié sur le terrain n’est autre que le PYD kurde, qui n’a pas été invité à la demande expresse de la Turquie, par conséquent Washington risquait de ne faire que de la figuration à Astana, ce qui n’est guère flatteur». Quant à l’hypothèse d’un soutien armé, avec l’envoi, via les pays du Golfe, d’armements sophistiqués aux islamistes radicaux qui composent aujourd’hui l’essentiel des forces opposées à Bachar al-Assad, le géographe n’y croit guère, car «cela irait à l’encontre de la doctrine Trump». Deux semaines après celle d’Astana, la conférence de Genève, restée dans l’échec depuis ses débuts, réunira de nouveau les mêmes protagonistes, pour aborder cette fois le volet politique des négociations. Reste à savoir si ce sera l’occasion pour la nouvelle Administration américaine de sortir du bois et de poser des jalons… Une éventualité en laquelle ne croit pas Fabrice Balanche. «La conférence d’Astana est l’opposé de Genève sur le fond et la méthode. Même si Serguei Lavrov (le ministre russe des AE) affirme qu’Astana est complémentaire de Genève, je le soupçonne de vouloir transférer le règlement de la crise syrienne dans la capitale du Kazakhstan. Il ne faut pas s’attendre à des avancées majeures à Genève».
Une normalisation entre Moscou et Washington, comme évoquée à plusieurs reprises par Donald Trump lui-même durant sa campagne, sera-t-elle dans ce contexte, toujours d’actualité? La question mérite d’être posée, compte tenu des derniers scandales qui ont éclaboussé le nouveau président, à quelques jours de sa prise de fonction.
Détente avec Moscou. Depuis Washington, Fabrice Balanche souligne qu’«un rapprochement rapide avec la Russie serait mal interprété — notamment du côté du Congrès mais aussi des Républicains, qui comptent de nombreux Russophobes dans leurs rangs — et donnerait du crédit aux détracteurs de Trump sur l’éventuelle implication de Moscou dans son élection».
Le nouveau leader américain devra composer avec cette opposition, afin d’éviter un rapprochement sino-russe. «Barack Obama avait déjà réorienté la politique américaine vers l’Asie-Pacifique en allégeant le dispositif américain au Moyen-Orient. Son successeur va sans doute intensifier cette politique car elle correspond à sa politique protectionniste», analyse Balanche. Si rapprochement avec Moscou il y a, ce sera donc uniquement «au nom de la lutte contre l’islam radical», avec un partage de gâteau, la Syrie restant dans l’escarcelle russe, tandis que Washington s’occuperait de l’Irak. «Ce partage territorial n’exclut par une aide militaire mutuelle, mais sans grande publicité, pour ne pas heurter les Congressistes américains et le camp démocrate», avance le chercheur.
Autre dossier sur lequel Donald Trump est attendu, celui de l’Iran. Malgré ses annonces tonitruantes durant la campagne, il ne devrait pas pouvoir balayer l’accord sur le nucléaire iranien, n’étant pas le seul signataire. Il pourrait rencontrer l’opposition de l’Europe, mais aussi de la Chine et de la Russie.
Sur un autre plan, la nomination du gendre du président Trump, Jared Kushner, en tant que conseiller spécial pour le Moyen-Orient, interroge. «L’étendue de la relation de Kushner avec Israël n’est pas claire. Il n’est pas un fréquent visiteur de l’Etat hébreu, ni n’a de liens profonds avec le monde des affaires israélien. En revanche, son père était très actif dans l’immobilier et la philanthropie en Israël. A ce titre, Jared Kushner a eu l’occasion de rencontrer Benyamin Netanyahu et de devenir ami avec le maire de Jérusalem», indique Fabrice Balanche. Autant dire qu’après des relations glaciales avec Barack Obama, «Bibi» doit se frotter les mains. L’annonce, par Trump, de sa volonté de faire transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, pourrait signifier, selon le géographe, sa volonté «de marquer l’Histoire par un acte fort». Une telle action – jugée prématurée par la Maison-Blanche le 23 janvier – induirait en effet la reconnaissance, par Washington, de l’unification de la Ville sainte et sa qualité de capitale de l’Etat Israël. «Un dossier brûlant (dans lequel) Trump a besoin d’une personne de toute confiance pour réaliser ce projet: son gendre serait la personne idoine».
Si Kushner garderait un rôle clé dans le cas d’une relance du processus israélo-palestinien, le nouveau Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, pourrait, de son côté, gérer les relations épineuses avec l’Arabie saoudite. «En tant qu’ex-Pdg d’Exxon Mobil, il connaît bien le Moyen-Orient, à travers le prisme de l’exploitation pétrolière, et à ce titre, c’est un parfait connaisseur de la monarchie wahhabite. Cela peut être un atout dans les années à venir. Le programme de réforme et de diversification économique lancé par Mohamed Ben Salman crée du mécontentement et il n’est pas sûr qu’il réussisse. A cela il faut ajouter le problème de la succession et la concurrence régionale avec l’Iran. Tillerson serait donc, a priori, l’homme de la situation», présume Fabrice Balanche. A cet atout, s’ajoutent ses bonnes relations passées avec Vladimir Poutine, qui avait honoré le désormais diplomate de l’Ordre de l’Amitié, en 2014