Chaque fois qu’il prend la parole, le secrétaire général du Hezbollah fait la une de l’actualité. Ses discours, qui comportent toujours des messages destinés à l’intérieur et d’autres à l’extérieur, notamment aux Israéliens, sont décortiqués et suscitent de nombreuses réactions.
Concernant le volet libanais du discours de jeudi, deux points ont été mis en évidence. Le premier porte sur son appel à l’ouverture d’une session extraordinaire du Parlement (la session ordinaire se termine le 31 mai) pour donner plus de temps aux discussions sur un nouveau projet de loi électorale. Celles-ci pourront ainsi se prolonger jusqu’au 19 juin, dernier délai avant l’expiration du mandat prorogé du Parlement actuel. Une telle décision du gouvernement serait aussi de nature à faire baisser la tension entre l’exécutif et le législatif, tout en rassurant le Parlement et son chef sur la volonté de ne pas aboutir à un vide au niveau de la Chambre.
Sans évoquer les tiraillements actuels et les pointes politiques qui remplissent désormais le quotidien politique, le secrétaire général du Hezbollah a invité les différentes parties à l’apaisement et à faire un signe de bonne volonté les unes envers les autres. Le gouvernement ouvrirait une session extraordinaire de la Chambre et celle-ci ferait des efforts pour adopter une nouvelle loi électorale, dans les délais, tout en s’engageant à ne pas profiter de la session extraordinaire pour adopter une nouvelle prorogation. Mais si, passé le 20 juin, aucune nouvelle loi n’a été adoptée, rien ne pourra empêcher le vide parlementaire, sauf si l’accord n’est pas respecté et une nouvelle prorogation est votée. Les milieux politiques estiment d’ailleurs aujourd’hui, se basant sur une bourse politique changeante, que le scénario le plus probable reste l’adoption d’une nouvelle loi avant le 19 juin, mais à la dernière minute…
Le second point qui a été repris dans le discours de Hassan Nasrallah, c’est son annonce de la fin de la mission de « la résistance » le long de la frontière avec la Syrie et la décision de retirer ses combattants de cette zone et de remettre les positions du Hezb à l’armée libanaise. Pour les alliés du Hezbollah, cette annonce spectaculaire est une initiative positive. Elle exprime d’une part la « confiance » du parti dans l’armée libanaise, « qui est en mesure d’assumer la responsabilité du contrôle de la frontière avec la Syrie », et d’autre part, elle vise à retirer aux détracteurs du Hezbollah un sujet de polémique, à savoir la présence du parti aux côtés de l’armée, dans cette zone particulièrement à hauts risques.
Dans son discours, Hassan Nasrallah a déclaré que ses hommes « ont accompli la mission qui leur était confiée, puisque la frontière est devenue sûre dans sa plus grande partie et leur présence n’a plus de raison d’être. Aujourd’hui, la protection de cette frontière relève de la responsabilité de l’État que nous ne voulons pas remplacer ». M. Nasrallah cherche ainsi à démentir toutes les allégations sur la volonté de son parti de prendre la place de l’État dans ses fiefs populaires, tout en balayant les accusations qui lui ont été lancées de vouloir provoquer un changement démographique dans la Békaa-Nord, en cherchant à provoquer le départ des chrétiens et des sunnites pour les remplacer par des chiites. Au passage, il a rappelé que lorsque les hommes du Hezbollah se sont déployés le long de la frontière pour la protéger d’éventuelles incursions des combattants de Daech et de Nosra, ils n’ont pas fait une sélection confessionnelle des villages à défendre, se déployant « là où ils devaient le faire pour protéger le pays dans son ensemble ».
Dans son discours, le chef du Hezbollah a également expliqué qu’avec les progrès enregistrés par les forces du régime autour de la capitale syrienne, les combattants extrémistes encore présents au Qalamoun-Ouest, qui s’inscrit dans le prolongement du jurd libanais de Ersal, n’ont plus une grande liberté d’action et ne peuvent plus provoquer des changements stratégiques dans cette zone. C’est pourquoi la présence des hommes du Hezbollah n’est plus nécessaire.
Du côté libanais, c’est désormais à l’armée d’assurer la sécurité des frontières et depuis quelques semaines, elle est en train de mener des opérations ponctuelles, ciblées et régulières pour neutraliser les combattants de Nosra et de Daech. Pour ceux qui suivent de près les développements du terrain syrien, la décision de M. Nasrallah paraît ainsi logique. Elle n’est donc pas liée à des considérations politiques, d’autant que le chef du Hezbollah a bien précisé que son parti poursuivra sa mission en Syrie, « là où il estime qu’il doit être présent », ajoutant qu’on lui demande régulièrement d’envoyer plus de forces sur tel ou tel front, mais au final, c’est lui qui décide où sa présence est le plus utile…
Sur le plan purement libanais, l’annonce de Nasrallah intervient après la nomination d’un nouveau commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, un homme de terrain qui a servi un peu partout au Liban et en particulier dans la région de Ersal. Le général Aoun bénéficie aujourd’hui d’un grand capital de confiance et d’une réputation d’efficacité. Il s’est d’ailleurs rendu récemment à Washington sur la base d’une invitation officielle, et il aurait fait bonne impression à ses interlocuteurs américains. La décision du chef du Hezbollah de laisser l’armée seule maîtresse des frontières avec la Syrie est donc une façon indirecte de rendre hommage au nouveau commandant en chef, tout en mettant en évidence ce que tout le monde savait sans en parler… C’est-à-dire qu’il y avait un partage tacite des responsabilités le long de la frontière avec la Syrie. Aujourd’hui, grâce notamment à l’appui américain et européen, l’armée est en mesure d’assumer seule la sécurité à la frontière libanaise… et le Hezbollah, lui, peut poursuivre d’autres missions ailleurs