Depuis que le sionisme a mené à bien son projet de création d’un foyer juif en Palestine, les Palestiniens ont dû faire face aux tentatives quotidiennes d’Israël de négation de leurs droits et de leur appartenance à la terre. Celles-ci prennent de nombreuses formes, dont des références générales à l’époque biblique, la connexion spirituelle entre les juifs et la Palestine historique culminant dans le « Dieu nous a donné cette terre ». C’est « dans la Bible ».
On devrait en déduire que tout le territoire situé entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée appartient aux juifs, que Jérusalem est la « capitale unie et éternelle » du « peuple juif » et que la Cisjordanie est la « Judée et Samarie ». Collectivement, cela est censé prouver que la connexion des juifs à la terre est beaucoup plus forte que celle de n’importe quel autre groupe, dont les Palestiniens. Les hommes politiques israéliens utilisent ceci pour affirmer qu’il n’y a pas d’occupation dans la mesure où les juifs sont simplement en train de retourner dans leur terre natale.
Aujourd’hui, la Palestine historique ne manque pas de symboles historiques liés aux trois grandes religions monothéistes, et Jérusalem en possède un nombre abondant dans un espace minuscule qui contient le Mur occidental, l’église du Saint Sépulcre et la mosquée al-Aqsa. Chaque année, des milliers de fidèles partent en pèlerinage en Terre sainte, essentiellement des juifs et des chrétiens. Des milliers de musulmans seraient aussi du voyage si la paix prévalait et s’ils étaient autorisés à visiter leur troisième plus sainte mosquée, al-Aqsa.
Le contexte ci-dessus montre non seulement l’importance de la Palestine historique pour les trois religions mais aussi le potentiel de million de personnes la visitant chaque année, générant des bénéfices économiques substantiels pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Pour qu’un tel potentiel se réalise, il est important (…) que l’histoire de cette terre soit préservée pour les générations actuelles et à venir.
Celui qui en est responsable, en tant que puissance étatique et puissance occupante, est Israël. Son rejet de cette responsabilité est au mieux suspect. Israël s’est lancé en fait dans un processus consistant à ramener systématiquement sur le devant de la scène l’histoire juive de la terre et à cacher, ou dans certains cas effacer, la connexion qu’en ont les autres habitants.
Lorsqu’Israël a occupé Jérusalem-Est en 1967, les forces d’occupation ont commencé par hisser le drapeau israélien sur la mosquée al-Aqsa. Bien qu’ils l’aient ensuite enlevé, les Israéliens ont rapidement procédé à la destruction au bulldozer du quartier marocain de Jérusalem, dont plusieurs mosquées, afin de faciliter l’accès des juifs au Mur occidental, qu’ils désignent aussi sous le nom de Mur des Lamentations.
Depuis lors, Israël s’est lancée dans un projet archéologique d’envergure dans cette zone sensible et dans d’autres zones moins sensibles afin de trouver des preuves de l’existence des juifs en ces lieux après leur exode d’Égypte et pour l’utiliser comme justification de leur revendication à la Palestine historique des temps modernes.
Les Israéliens sont particulièrement désireux de mettre au jour la preuve que les premier et second temples existèrent sur le site de la mosquée al-Aqsa. Depuis leur occupation de Jérusalem-Est, ils ont creusé autour et sous le site, suscitant les vives préoccupations des Palestiniens et de la Jordanie, qui craignent que les excavations viennent endommager les fondations de la mosquée, précipitant son effondrement. On pense aussi que les fouilles menées par l’Autorité des antiquités d’Israël menacent les maisons du quartier palestinien de Silwan, qui se trouve en contre-bas du mur méridional de la mosquée al-Aqsa.
Si les fouilles étaient simplement menées pour des raisons purement historiques, on pourrait avancer l’argument que, si elles étaient faites avec précaution, elles pourraient être tolérées par les Palestiniens. Or, cette zone, que les Israéliens de droite appellent la Cité de David, est l’une de celles dont ils veulent se saisir, séparant ainsi de fait la mosquée al-Aqsa de l’un de ses quartiers palestiniens les plus proches.
L’utilisation de l’archéologie par les autorités israéliennes pour délégitimer la connexion des non-juifs à la terre et légitimer le projet colonialiste d’Israël ne se limite pas aux organisations de droite. En 2013, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a qualifié de « magnifique » la découverte d’un ancien médaillon d’or à Jérusalem. Il avait alors affirmé : « Il est intéressant de voir que même alors, plus de 500 ans après la destruction du second Temple, nous voyons la menorah dans une illustration originale. C’est un témoignage historique, de la plus grande qualité, du lien du Peuple juif à Jérusalem, sa terre et son héritage – menorah, shofar, parchemin de la Torah. »
En 2015, le ministre de l’Éducation Naftali Bennett s’est servi de sa page Facebook pour envoyer un « Mémo à Mahmoud Abbas [président de l’Autorité Palestinienne] et d’autres qui crient “occupation” : une jarre vieille de 3 000 ans portant l’inscription Ishba’al fils de Beda a récemment été découverte près de Beit Shemesh. Ishba’al est un nom mentionné dans le Tanach (Bible) et est uniquement propre à la période du roi David. Ce n’est qu’un autre exemple des nombreux faits sur le terrain racontant l’histoire de l’État juif qui a prospéré ici sur cette terre il y a 3 000 ans. À cette époque, il y avait des communautés qui levaient des impôts, jouissaient d’une économie forte, fournissait des transports, des institutions éducatives et une armée – comme aujourd’hui. Une nation ne peut pas occuper sa propre terre. »
Les institutions étatiques peuvent aussi se trouver mêlées à la controverse lorsqu’elles se risquent à utiliser des symboles historiques. Récemment, l’authenticité de l’image musicale représentée sur la pièce d’un demi shekel de la Banque d’Israël a été remise en question. Le « kinnor » ou lyre, qui ressemble à une harpe, donnait à cette pièce une apparence caractéristique et historique. L’instrument de musique apparaît au-dessus d’une inscription sur un sceau en pierre découvert en 1979 et daté du Royaume de Judée du VIIe siècle avant notre ère.
La Banque d’Israël a frappé la pièce décorée de la lyre en 1985, et cette dernière y figure encore à ce jour. Cependant, Haaretz a récemment rapporté que de nombreux archéologues pensent que ce sceau est un faux, une contrefaçon, ce qui place la Banque d’Israël dans une situation délicate. Devrait-elle retirer la pièce ou continuer à l’utiliser comme sa monnaie légale ?
Sa réponse a été la suivante : « Rien ne prouve que le sceau “Appartenant à Maadana, fille du roi” n’est pas authentique. Et quand bien même ce serait le cas, cela n’a aucune importance en ce qui concerne la pièce en tant que telle, de nombreuses années après sa production. Nous pouvons garantir au public que la pièce qu’il tient entre ses mains est une monnaie légale à tous égards. »
L’enchevêtrement entre archéologie et politique en Israël est une tendance dangereuse qui semble s’être intensifiée à mesure que la société et les politiques israéliennes ont viré vers la droite et que les hommes politiques du pays ont manœuvré le conflit d’un conflit politique à un conflit religieux. Cependant, personne, y compris les Palestiniens, ne nie que les juifs ont vécu en Palestine il y a environ deux mille ans ou qu’ils ont une connexion spirituelle à la terre.
Cela n’empêche pas que d’autres groupes aient aussi des revendications. Avant que les juifs ne viennent en Palestine, celle-ci était habitée par les Cananéens. La chrétienté est née en Palestine, et par conséquent les chrétiens ont eux aussi une forte connexion à ce lieu. Plus récemment, dans les années 630, les musulmans l’ont conquis et l’ont habité depuis sans discontinuer.
La Palestine historique est appelée Terre sainte parce qu’elle est sainte pour les religions monothéistes. Refuser un tel attachement à n’importe lequel de ces groupes est égoïste et injuste. Les tentatives visant à mieux comprendre l’histoire, notamment à travers l’archéologie, sont très importantes, mais l’honnêteté l’est tout autant. |