« Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuée » devrait être le mantra de tout diplomate français, en général et du chef de la diplomatie – le responsable du quai d’Orsay -, en particulier, lorsqu’il est confronté à une crise dure, longue comme l’est la crise syrienne qui s’étale depuis 2011.
En pleine bataille d’Alep et de crispation aigüe entre Américains et Russes (on évoque de plus en plus une atmosphère de « guerre froide »1), Jean-Marc Ayrault sort de son chapeau un lapin, en annonçant urbi et orbi, l’idée une médiation (éphémère au demeurant) destinée à favoriser une solution humanitaire au drame d’Alep2. Initiative ô combien louable sur le plan humanitaire mais ô combien irréaliste sur le plan diplomatique tant elle est lancée dans la plus grande précipitation ! Une fois encore la communication l’emporte sur la réflexion, qui devrait en toute logique cartésienne, précéder l’action.
Cette médiation doit en principe se concrétiser par le vote d’une résolution (d’origine française) lors d’une réunion du Conseil de sécurité (sous présidence russe) en la présence de Jean-Marc Ayrault (le seul ministre présent à New York) pour emporter la décision de ses quinze membres. Une semaine après, en proposant un contre texte de résolution repoussé par le P3, Moscou oppose, avec le Venezuela, son veto au texte français le 8 octobre 2016. Circulez, il n’y a rien à voir ! En réalité, tout s’est passé en paroles vaines. Quelles leçons peut-on et doit-on tirer de cette douche froide, de ce camouflet, de cette Bérézina diplomatique pour le président français et pour son Talleyrand nantais ? Elles nécessitent une indispensable « tempête sous un crâne » (Victor Hugo), sorte de retour d’expérience (« retex ») autour de trois principaux axes de réflexion sur la problématique bien connue des internationalistes, celle de la médiation.
LA MÉDIATION : UNE EXIGENCE ABSOLUE DE NEUTRALITÉ
Travailler à une médiation efficace suppose d’abord deux conditions complémentaires : virtuosité et neutralité.
La diplomatie de la virtuosité
On ne le répétera jamais assez la médiation est un exercice d’équilibriste particulièrement délicat et complexe3. Il suppose clairvoyance dans l’objectif et virtuosité dans l’exécution, toutes qualités que ne semble pas encore posséder l’ancien Premier ministre et ancien maire de Nantes. Penser raisonnablement parvenir à faire adopter, en moins d’une semaine, une résolution par le Conseil de sécurité sur la Syrie alors qu’Américains et Russes sont au bord de la rupture relève de la chimère ! Moscou a déjà mis cinq vetos sur le sujet dans le passé. Outre la discrétion (dont il sera question plus loin), l’expérience accumulée au cours des siècles nous apprend quelques leçons simples. Le succès d’une médiation suppose d’abord que le médiateur se situe à égale distance, à équidistance des deux protagonistes dont il s’agit de rapprocher les points de vue inconciliables au départ. C’est là que la notion d’équilibre est fondamentale, ce que les anglo-saxons traduisent par le concept de « balance ». Il suppose également la conviction chez ces mêmes protagonistes que le médiateur n’est pas juge et partie à la même cause comme disent les juristes.
La diplomatie de la neutralité
En un mot, ceci suppose que le médiateur soit d’une neutralité exemplaire qui lui permette de faire évoluer pas à pas les points de vue diamétralement opposés pour parvenir à un point d’équilibre acceptable et qui n’humilie personne. Or, qu’en est-il de la France sur le dossier syrien ? Elle ne remplit aucune de ces deux conditions ? Alliée depuis toujours, vassale de plus en plus des États-Unis (Cf. sa réintégration de la structure militaire intégrée de l’Alliance atlantique en 2009 par Nicolas Sarkozy qui qualifie son successeur de « laquais de la politique américaine », sic), elle ne peut se prévaloir de la qualité de juge indépendant et impartial dans un différend américano-russe. Le médiateur doit faire passer son devoir de neutralité avant ses convictions. Nous en sommes loin. On comprend dans ces conditions pourquoi cette pseudo-médiation française était plombée ab initio. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov n’en a pas fait mystère lors du bref passage de Jean-Marc Ayrault à Moscou. Ce dernier a-t-il compris ce message de la part d’un Etat qui fait ce qu’il dit ? A l’évidence pas, pensant pouvoir passer outre les objections dirimantes russes dans la salle du Conseil de sécurité !
D’autres conditions doivent être remplies pour mettre le maximum de chances de succès du côté du médiateur.
LA MÉDIATION : UN IMPÉRATIF CATÉGORIQUE DE DISCRÉTION
Travailler à une médiation efficace suppose ensuite que soient remplies deux autres conditions complémentaires : secret et humilité.
La diplomatie du secret
On ne le répétera jamais assez la discrétion constitue l’une des clés essentielles du succès dans la diplomatie de crise. La diplomatie est un art subtil. Elle permet de sauver la face des belligérants. En cas d’échec de la médiation, ils peuvent toujours prétendre a posteriori qu’elle n’a jamais existé. A titre d’exemple, la médiation du Saint-Siège ayant débouché sur la reprise des relations entre La Havane et Washington n’a été couronnée de succès qu’après plusieurs dizaines de navettes secrètes par les émissaires du Pape étalées sur plusieurs années. La télédiplomatie ou diplomatie du mégaphone connaît rapidement ses limites dans le monde réel dans lequel nous vivons. Nous ne sommes malheureusement pas dans le monde des bisounours. Notre ex-ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius ne l’a toujours pas compris en dépit de ses fiascos à répétition sur le dossier syrien dont il est encore question aujourd’hui, lui qui nous annonçait de manière péremptoire en août 2012 la fin imminente du régime de Bachar Al-Assad.
La diplomatie de l’humilité
Jean-Marc Ayrault ne l’a également pas saisi. La diplomatie des coups, qui remplace aujourd’hui la diplomatie de l’ombre, ne marche que dans les séries télévisées de troisième zone. L’humilité doit être la qualité principale du médiateur qui ne doit surtout pas s’en vanter sur les plateaux de télévision. Un ministre qui clame haut et fort le lancement d’une médiation délicate peut être comparé à un voleur qui annonce à l’avance le lieu et l’heure de son délit. Ceci se termine toujours mal. A l’issue du vote au Conseil de sécurité, sa déclaration emportée, le cheveu en bataille, frise le pathétique, le ridicule et démontre, s’il en était encore besoin, l’impuissance de la France sur le dossier syrien. Le décrochage de la France sur ce dossier est désormais indéniable, y compris pour les aveugles et les sourds. Dans les jours qui suivent, et pour s’excuser de l’inexcusable, Jean-Marc Ayrault réitère ses saillies contre la Russie sur d’autres médias, ajoutant la confusion à l’incompétence.
D’autres conditions sont aussi si ce n’est plus importantes que les précédentes pour renforcer la main du médiateur dans son exercice difficile passeur d’idées.
LA MÉDIATION : UNE CONDITION OBJECTIVE DE COHÉRENCE
Travailler à une médiation efficace suppose enfin que soient remplies deux dernières conditions complémentaires : réalisme et cohérence.
La diplomatie du réel
On ne le répétera jamais assez l’humanitaire ne peut se substituer au diplomatique. A trop s’opposer à une diplomatie réaliste, une diplomatie humanitaire est vouée à déboucher sur une impasse, si ce n’est à révéler au grand jour ses contradictions. « Quand le propos politique se réfugie dans l’exhortation morale, il ne fait qu’exprimer son impuissance »4. Le jour même où la France présente son projet de résolution à New York, un raid mené à Sanaa contre une veillée funéraire houthiste par la coalition dirigée par nos « amis saoudiens » fait 450 victimes, dont au moins 150 morts. Que disent et font les P3 ? Rien si ce n’est que le porte-parole du Quai d’Orsay réclame une « enquête indépendante »5. Comment être diplomatiquement crédible sur le dossier syrien alors qu’on pratique le laxisme avec Riyad en dépit de ses violations répétées des droits de l’homme sur son territoire et du droit international humanitaire chez son voisin ? Cela commence à se savoir, à se voir et à se dire, y compris à Washington ! Certains esprits chagrins susurrent le sésame de cour pénale internationale pour traduire Américains et Saoudiens en raison de leurs crimes de guerre…
La diplomatie de la cohérence
Ce qui vaut pour la diplomatie humanitaire vaut a fortiori pour la diplomatie économique. Acheter des Rafale ou des Mistral français exonèrerait-il le gouvernement égyptien de ses obligations en matière d’état de droit ? Doit-on le regretter ou s’en féliciter ? On peine à saisir la logique de la diplomatie française en la matière. On en mesure mieux ses errements, ses incohérences, ses dérives tant elle est frappée au coin du triomphe du court-termisme et de la démagogie. Il est vrai qu’il y a belle lurette que la France n’a plus de politique étrangère qui lui serve de cap et de boussole, au sens classique du terme. Où sont ses objectifs, sa stratégie, ses moyens et sa volonté si l’on s’en tient à la définition d’Hubert Védrine ? Moscou ne s’y est pas trompé en renonçant à la visite à Paris de Vladimir Poutine le 19 octobre 2016, se permettant le maniement de l’ironie6. Il est vrai que l’erreur de François Hollande est grossière7. « Une fois encore, François Hollande s’est ficelé dans son indécision »8. Par malheur pour lui, cette déconvenue intervient le jour-même où deux journalistes d’investigation livrent un portrait sans concession de son quinquennat qui n’a échappé ni au Kremlin ni aux autres chancelleries9. Voici à quelles étranges extrémités l’on aboutit par manque de courage et de volonté politique. L’incohérence de la démarche est patente.
« La France ne veut ni des gens qui ne sont capables de rien, ni de ceux qui sont capables de tout » (M. de Falloux). Où la vanité ne va-t-elle pas se nicher ? Notre néophyte ministre des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) découvre à cette occasion, confus mais un peu tard, la dure réalité de la diplomatie, surtout de la diplomatie multilatérale onusienne. Le succès ne s’improvise pas dans le temps médiatique court. Il se construit patiemment dans le temps diplomatique long en dialoguant avec tous (amis et surtout ennemis) et en leur marquant un minimum de considération (le langage diplomatique sert à cela). Ce ne sont pas les propos bravaches et contradictoires de François Hollande tant devant les médias10 à Paris que lors de son intervention devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg le lendemain pour justifier sa valse-hésitation sur la visite Poutine (« je suis donc prêt à tout moment à rencontrer le président Poutine »), qui changeront la donne11. Bien au contraire, ils la compliqueront12.
La diplomatie de l’anathème permanent et contraire aux usages diplomatiques (envers la Russie qui débouche sur l’annulation de la visite privée de Vladimir Poutine à Paris le 19 octobre 201613) ne débouche lentement mais sûrement que sur la diplomatie du néant14. Comme cela était largement prévisible, la victoire de la médiation se fit attendre et, en définitive, n’arriva jamais. Nous sommes dans le cœur de la chronique d’un échec annoncé qui se double d’une grave crise avec Moscou15. Le fossé se creuse encore plus entre Paris et Moscou. Pendant ce temps, Allemands, Américains et Britanniques (Boris Johnson appelle à manifester devant l’ambassade de Russie à Londres) se tiennent prudemment à l’écart de ce pugilat de cour de récréation aussi inutile qu’inefficace, se bornant à compter les points. Pour cette médiation française tombée du ciel, ce pétard diplomatique qui oscille entre farce et tragédie, on pourrait attribuer au chef de la diplomatie française un (z)Ayrault pointé !
1 Claude Angeli, Débuts de « guerre froide » en Europe et en Syrie, Le Canard enchaîné, 12 octobre 2016, p. 3.
2 Marie Bourreau/Isabelle Mandraud/Marc Semo, L’incertaine médiation de la France en Syrie, Le Monde, 8 octobre 2016, p. 6.
3 Jean-Paul Pancracio, Médiation dans son Dictionnaire de la diplomatie, éditions Micro Buss/G. de Bussac, 1998, pp. 397-398.
4 Jean-Dominique Merchet, Venez à Paris, Monsieur Poutine, l’Opinion, 12 octobre 2016, p. 1.
5 Sanaa pas l’air de choquer, Le Canard enchaîné, 12 octobre 2016, p. 1.
6 Pierre Avril, Le Kremlin ironise et esquive la rebuffade de Paris, Le Figaro, 12 octobre 2016, p. 2.
7 Jacques-Hubert Rodier, L’erreur de Hollande, Les Echos, 12 octobre 2016, p. 9.
8 Hubert Huertas, Hollande face au lapin de Poutine, www.mediapart.fr , 11 octobre 2016.
9 Gérard Davet/Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça… Les secrets d’un quinquennat, Stock, octobre 2016.
10 Tribunes d’Arnaud Dubien et de Marc Lavergne, François Hollande doit-il accueillir Vladimir Poutine à Paris ?, La Croix, Débats, 11 octobre 2016, p. 4.
11 Intervention de François Hollande devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 11 octobre 2016, www.elysee.fr
12 Guillaume Goubert, Erreur française, stratagème russe, La Croix, 12 octobre 2016, p. 1.
13 Erik Emptaz, Poutine propose un accord secret à Hollande : « Toi bomber le torse, moi bomber Alep », Le Canard enchaîné, 12 octobre 2016, p. 1.
14 Caroline Galacteros, « La décision de Vladimir Poutine humilie la diplomatie française », Figarovox, 11 octobre 2016.
15 Isabelle Mandraud/Marc Semo, Coup de froid entre Paris et Moscou, Le Monde, 13 octobre 2016, p. 3