Le président de la République libanaise Michel Aoun s’est rendu mercredi 15 mars à Rome pour une visite officielle au Vatican. Il s’agissait de la première visite officielle en Europe de ce chrétien maronite, élu le 31 octobre dernier après deux ans et demi de vacance du pouvoir au pays du Cèdre. Il a été reçu par le pape François au cours d’un entretien privé avant de rencontrer le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican. Le jeudi soir, accompagné de sa famille, Michel Aoun a assisté à la divine liturgie en l’église Saint-Maron — « paroisse » de la diaspora maronite libanaise — entouré de représentants du patriarcat, de cardinaux et d’évêques, de diplomates accrédités près le Saint-Siège et d’une foule de fidèles. Pendant son séjour, le président libanais a accordé un entretien exclusif à l’édition arabophone d’Aleteia.
© Antoine Mekary / ALETEIA
Aleteia : Votre rencontre avec le Saint-Père intervient au moment où le monde attend, plus que jamais, un appel au dialogue et un message d’amour. Le Liban, « pays-message » si cher au cœur du pape Jean Paul II, prendra-t-il part au renouvellement du dialogue entre les communautés du Moyen-Orient et du monde ?
Le président Michel Aoun : Le Liban est situé au carrefour de toutes les confessions et de toutes les civilisations du monde. Son peuple réunit toutes les communautés musulmanes et chrétiennes. Nous vivons dans la stabilité et la concorde, dans le respect des croyances de chacun, en dépit des désaccords politiques ou religieux. Le modèle sophistiqué qui garantit l’équilibre de notre pratique du pouvoir est la preuve de cette unité qui remonte à la conquête musulmane et demeure encore intacte de nos jours.
Votre rencontre avec le Saint-Père est un message d’espoir pour les chrétiens d’Orient. Que diriez-vous à ces chrétiens qui ont souffert et qui souffrent encore de la peur du présent et de l’avenir ?
C’est un désastre et la guerre avec des groupes extrémistes islamistes est une réaction très grave que j’avais anticipée dès 1994 dans les colonnes du journal Al-Hayat : la voilà devenue réalité. Cette réaction n’a aucun rapport avec l’islam, elle contredit tous les principes reconnus au sein de la religion islamique, c’est pourquoi elle a commencé à perdre et à s’anéantir, mais elle va laisser des traces, comme nous pouvons déjà le constater au Moyen-Orient.
Je pense qu’il n’y aura plus de danger immédiat pour les chrétiens quand cette crise aura pris fin au Moyen-Orient, mais la menace demeurera sous forme de cellules dormantes.
Tout le monde est affecté par ce phénomène, chrétiens comme musulmans. En Syrie, des mosquées et des églises ont été les victimes de destructions massives. Les chrétiens ne s’étant pas opposé frontalement au pouvoir, ils ont été visés par les terroristes et ont subi les mêmes menaces que les autres. Les chrétiens participent au mouvement de résistance en Syrie, ils ont résisté côte à côte avec les musulmans et ils doivent pouvoir retourner dans leurs foyers. Plus d’un million et demi de Syriens immigrés et un demi-million de Palestiniens doivent également retourner chez eux dès que la sécurité sera rétablie dans leur pays. Les chrétiens en font partie.
Votre élection a apporté de l’espoir à la jeunesse libanaise. Quel message leur réservez-vous pour dissiper leurs peurs ?
La peur est derrière nous. Nous avons traversé les étapes les plus graves et périlleuses de notre histoire. Nous avons résisté face à un cercle de fer et de feu qui s’étendait du nord du Liban à l’Afrique du Nord. Grâce à Dieu, les grands attentats qui nous ont frappés sont devenus plus rares.
Nous avons résisté, notre unité nationale est intacte et la menace intérieure au Liban n’existe plus. La situation actuelle est bien meilleure. Il n’en reste pas moins que la situation économique mondiale est mauvaise, tellement mauvaise que le monde doit remettre en question les systèmes qui sont les siens et repenser les points de défaillance qui permettront au nouvel ordre économique mondial de se stabiliser. Ainsi pourra-t-on trouver les solutions de beaucoup de problèmes.
On connaît Michel Aoun militaire, Premier ministre, combattant en exil, député et chef de bloc parlementaire, Président… Qui est Michel Aoun, le chrétien ? Qui est Jésus à vos yeux ?
Jésus-Christ est le premier révolté de l’histoire et probablement le seul, car il a changé le cours du monde. Le christianisme est venu au monde en tant que pensée universelle alors que le judaïsme se considérait comme la première religion céleste et considérait que Dieu n’appartenait qu’à lui seul. Les Dix Commandements sont venus poser des interdits : « Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 7) par exemple. Mais le Christ est venu pour répandre Dieu parmi tous, le Christ n’a pas fait un Dieu particulier exclusif, mais un Dieu pour tous. Les gens ignorent que la loi de Moïse diffère des commandements de Jésus-Christ et beaucoup d’exemples en attestent.
La loi a dit : « Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 7). Le Christ n’a pas dit cela, mais dit : « Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non” » (Mt 5, 37).
Le Christ n’a pas dit : « Tu ne commettras pas de meurtre » (Ex 20, 13), Il a déclaré : « Aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34). Le crime est un comportement négatif, l’amour doit être le rapport fondamental des êtres humains entre eux.
Il n’a pas dit : « Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex 20, 14), Il a dit : « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Mt 5, 28), ce qui prouve que les instructions chrétiennes sont positives pour l’homme : elles lui ont transmis un guide de ce qu’il a à faire, pas de ce qu’il ne doit pas faire.
Jésus n’a pas dit : « Tu ne commettras pas de vol » (Ex 20, 15), mais il a dit : « Va, vends ce que tu possèdes » (Mt 19, 21).
Jésus n’a pas dit : « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain » (Ex 20, 16). Il n’est pas resté les bras croisés, mais il a dit : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37).
Voilà ce que le christianisme représente pour moi, et si la loi de Moïse se trouve seulement dans la « non-agression », le message chrétien, lui, est un message de paix pour le monde entier. La différence entre les deux est évidente. Le christianisme a fait venir la paix dans le monde.
Propos recueillis par Tony Assaf, Haitham Shlomo Ashaer et Marie Yaacoub.