Episode 1. «Cherchez à raid aérien, raid aérien ! »
Le « back ground »
Depuis quelques semaines, après avoir coupé les principales voies d’approvisionnement (en armes et combattants) des terroristes à Alep Est, les aviations syriennes et russe bombardent leurs positions, permettant ainsi l’avancée au sol de l’Armée arabe syrienne. Pour les « puissances occidentales », il était urgent d’agir pour sauver leurs mercenaires (exclus de l’accord russo-étasunien) en commençant par clouer au sol les aviations syrienne et russe. Comment ? A défaut d’intervenir militairement, on va ressortir au Conseil de sécurité de l’ONU la panoplie « humanitaire » : accuser le « dictateur » et ses alliés de « crimes de guerre » et plus si affinités à la CPI. L’affaire a déjà été tentée, sans succès ; mais on n’a pas le choix et, de toutes façons, avec les troupes humanitaires et médiatiques la campagne est d’un bien meilleur rapport qualité-prix. Pour monter les témoignages et recycler des photos à peu près adéquates il va quand même falloir quelques jours et il en reste peu avant que la Russie ne remplace la servile Nouvelle-Zélande à la présidence du Conseil, le 1er octobre.
Entre-temps : occuper ses opinions publiques en leur faisant croire qu’on se démène dans d’âpres bras de fer (« diplomatiques ») avec les alliés du « bourreau ». Sans se priver non plus d’un minimum de gros coups bas sur le terrain.
L’escalade
Samedi 17 septembre, la Coalition conduite par les USA bombarde « par erreur » une position de l’Armée arabe syrienne qui àDeir Ez Zor résiste à Daesh : 83 tués, plus de cent blessés graves, et renversement -provisoire- de situation au profit des terroristes.
Même si, grâce à nos médias, le crime n’a pas provoqué de grande indignation, deux jours plus tard, 19 septembre, on polarise l’attention des opinions publiques sur le « bombardement aérien » d’un convoi humanitaire par « les aviations russe ou syrienne ». Crime de guerre incontestable, mais sans aucune preuve sur ses auteurs allégués.
C’est dans ce contexte favorable qu’entre en scène la jeune mais dévouée UOSSM ; pas aussi connue du grand public que son partenaire MSF, elle a montré sur les ondes au mois d’août[1] son sens de la neutralité et impartialité. Avec le Dr Raphaël Pitti « chargé de mission de formations à la médecine de guerre auprès de l’UOSSM » notamment auprès des Casques Blancs, et « médecin général [?!] dans l’armée française jusqu’en 2004. Guerres de Yougoslavie et du Golfe, conflits en Afrique » : bref, un vétéran de la guerre humanitaire.
Qu’est-ce que l’UOSSM [2]? « Une ONG Médicale française et internationale [créée opportunément en 2012] qui opère sur l’ensemble du pays en Syrie (Alep, Deraa, Quneitra, Homs, Idleb, Deir-Ezzor…etc)». La liste indique des zones sous contrôle des groupes dits rebelles, comme le reconnaît même le Figaro [3]. Rien sur son site n’indique qu’elle opère avec l’autorisation du gouvernement syrien.
Mardi soir 20 septembre à 23h un raid aérien aurait détruit un hôpital au sud d’Alep. L’information est rapportée le lendemain, au conditionnel, par Russia Today, qui cite des extraits d’un communiqué de l’UOSSM.
Communiqué original[4]:
« Quatre membres de l’équipe médicale de l’UOSSM ont été tués et un infirmier est dans un état critique avancé, après une attaque aérienne à 23h dans la nuit du mardi 20 septembre. Le centre médical a été entièrement détruit et de nombreuses victimes restent enfouies sous les décombres [personne n’en a donné de nouvelles depuis]. (…) Le point médical dispose de plusieurs systèmes d’évacuation ambulatoires soutenus par plusieurs organisations dont l’UOSSM et l’OMS [la référence à l’OMS veut sans doute suggérer un aspect officiel aux interventions de l’ONG]. Le point médical offre des services médicaux d’urgence à 750 blessés par mois. Le Dr Ahmed Dbais, directeur à l’UOSSM des hôpitaux et trauma dans le nord de la région [frontière turque, en zone « rebelle »] explique que “le bâtiment dispose de trois étages dont l’un était souterrain. En raison de l’intensité des bombardements, les trois niveaux se sont effondrés et sont complètement détruits.” Les cinq travailleurs humanitaires de l’UOSSM, 3 infirmiers et deux chauffeurs ambulanciers ont été appelés afin de ramener des patients du point médical vers un centre médical avancé. Le point médical a été bombardé et deux ambulances de l’UOSSM où se trouvaient les quatresmembres de l’UOSSM ont été pris pour cibles. »
« Centre » ou « point », dans tous les cas il ne s’agit pas d’une structure de médecine générale mais d’un « centre d’urgence pour des blessés ». Evidemment non signalé par l’Armée de la Conquête aux autorités du pays.
Le lendemain le communiqué a été corrigé, et devient[5] :
« Après une première attaque aérienne, nos équipes se sont rendues sur les lieux d’évacuation des blessés à Khan Touman dans la région d’Alep afin de transporter les victimes vers les centres médicaux situés à proximité » etc. .
Ont disparu du communiqué définitif : la nature -médicale- du bâtiment bombardé ; la première source de l’événement citée dans le communiqué UOSSM, le Dr Ahmed Dbais, ainsi que ses explications désormais encombrantes.
Par contre on nomme le lieu du bombardement, sans préciser que c’est une zone assiégée par l’Armée arabe syrienne : où notre « ONG » donne un coup de main pour l’évacuation.
La campagne de presse
La «responsable communication » de l’UOSSM contactée jeudi matin (nom et téléphone signalés seulement le premier jour) me dit que le communiqué « a été repris partout : cherchez à raid aérien, raid aérien ! », avant de couper court quand je lui dis que le communiqué a été modifié (« on m’appelle sur un autre poste »…).
La quinzaine de médias (auxquels j’ai limité ma recherche) s’est en effet immédiatement engouffrée dans les deux versions successives du communiqué et les témoignages des multiples « présidents de l’UOSSM France » ou International.
Celui du « Dr Ziad Alissa, président de l’UOSSM France » qui « condamne avec force ces attaques (…) contre notre personnel et nos installations médicales. Cibler délibérément des travailleurs humanitaires et des professionnels de santé (…) violation flagrante des lois internationales humanitaires. (…) agir rapidement afin de mettre un terme à ces atrocités ».
Celui, reproduit tel quel du « Dr Zedoun Aizoubi, directeur de l’UOSSM international, [qui] suit la situation de très près aux côtés du Dr Camilo Valderram, coordinateur du santé pour l’OMS à Gaziantep en Turquie » précisant, pour ceux qui n’auraient pas encore compris, la proximité -pas seulement chronologique- avec le crime dont tout le monde a parlé. « Cette attaque survient un jour après l’attaque aérienne du convoi de l’ONU et du Croissant Rouge Arabe Syrien, qui a fait plusieurs morts parmi les travailleurs humanitaires » etc.
Et/ou celui -« confié » à RFI- du « Dr Obeïda el-Mufti, [lui aussi] président et porte-parole de l’UOSSM France » : « deux ambulances ont été ciblées, lors du deuxième raid aérien » etc.. et, à nouveau : «(…) attaques contre le personnel médical, contre les civils (…) arrêter de cibler le personnel médical, les hôpitaux et les civils »[6].
Je ne donnerai ici que quelques exemples de cette quinzaine de médias consultés sur internet, mais ça vaut vraiment la peine d’aller en voir le détail (titres, photos et articles) pour avoir une idée de la qualité de la campagne de presse, jusque dans les copiés-collés des fautes d’orthographe et coquilles des communiqués d’origine (qui en sont truffés : pas le temps de se relire au Contact presse ?).
Mots clés : attaque -aérienne- ciblée contre du personnel médical, humanitaire et des civils.
Les victimes
Ce panorama de presse apporte cependant un complément aux propos des directeurs UOSSM, qui n’est peut-être pas sans rapport avec la modification du communiqué : « Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme[7] » le raid a aussi tué «neuf membres de l’Armée de la Conquête qui travaillaient dans le centre médical ». Ah… et l’info de l’OSDH va elle-même être traitée avec quelques variations .
Pour l’OBS : « Le raid aérien a visé Khan Touman, une ville contrôlée par les rebelles au sud-ouest d’Alep. L’OSDH précise que les insurgés tués faisaient partie de l’alliance islamiste Djaish al Fatah (Armée de la conquête), constituée autour du groupe Ahrar al Cham et de l’ex-Front al Nosra ». Les insurgés se trouvaient là ; pas plus.
Dans La Croix : « mardi soir, une frappe a visédeux ambulances à Khan Toumane (…). Selon l’OSDH, le premier raid visait un dispensaire de l’Armée de la Conquête »[8].
Dans la plupart des autres médias, les « insurgés » travaillaient dans le « centre-point médical-dispensaire ».
Qui a bombardé(« délibérément ») ?
Plusieurs médias soulignent que « L’OSDH n’était pas en mesure d’identifier la nationalité des avionsayant participé aux frappes ». Normal, de Londres c’est difficile de distinguer les bombardiers, mais cela n’empêche pas la plupart des rédactions, ici, de désigner des avions syriens et/ou russes.
Pour L’OBS, par exemple, c’est « l’aviation syrienne ou russe [qui] a tué dans la nuit de mardi à mercredi quatre membres d’une ONG médicale et neuf insurgés près d’Alep, rapporte l’OSDH »[9].
Métro se distingue en mentionnant « que le Front Fatah Al-Chamb(sic) (…) est exclu de la trêve décrétée il y a plus d’une semaine, tout comme Daech». Puis rejoint la meute : «Washington a dit croire que des avions russes ou syriens avaient mené cette attaque, qui a coûté la vie à 20 civils [à Washington 9+4= 20 quand ce sont des civils des quartiers Est d’Alep], et que le Kremlin était de toute façon responsable parce qu’il avait le mandat, en vertu de la trêve, de prévenir les frappes aériennes contre les convois d’aide humanitaire. Les insurgés ne possèdent pas d’avions »[10]. Donc…
Donc insistance du Contact presse de l’UOSSM : « raid aériens, raids aériens !». Et pas seulement « bombardements », qui peuvent être de mortiers ou autres explosifs tirés par les « canons de l’enfer » de la rébellion, comme l’ont expliqué dernièrement deux témoins sur le terrain, par ailleurs très différents dans leur appréciation du conflit : Régis Le Sommier, directeur-adjoint de Paris-Match, après quelques jours passés à Alep Ouest [11] et le Dr Nabil Antaki [12] qui continue à faire son métier de médecin gastro-entérologue dans les quartiers bombardés par les terroristes depuis quatre ans.
Elément central indispensable àla qualification du crime de guerre :
l’intentionnalitédu bombardement de structures ou organisations médicales, ou humanitaires, ou civiles, rapportée par l’armée des directeurs UOSSM sur le terrain -enfin, à la frontière turque- et à Paris.
Récapitulons : si nous apprenons que dans un quartier contrôlé par les terroristes de l’Armée de la Conquête, un bâtiment abritant des terroristes a été ciblé par le dit régime du bourreau et ses alliés, c’est parce que deux ambulances de l’UOSSM -qui ne travaille en Syrie que dans ces zones-là, et sans autorisation du gouvernement c’est-à-dire clandestinement— ont été ciblées par un deuxième raid alors qu’elles venaient -d’où ?- dans cette zone assiégée chercher des blessés pour les évacuer – où ? «Lacinquième victime, un infirmier (…) dans un état critique a été transféré à l’Hôpital de l’UOSSM Bab Al-Hawa, dans la région Nord de la Syrie ».
Peu importe que l’hôpital Bab Al-Hawa soit à plusieurs dizaines de kilomètres de Khan Touman et tout à fait de l’autre côté d’une ville deux fois plus étendue que Paris et assiégée par les « forces du régime» : tellement diaboliques qu’elles laissent perfidement passer les humanitaires -clandestins- dans leurs ambulances, aller et retour, pour mieux les bombarder « délibérément » quand elles sont sur place.
Les témoignages qui vont servir à la qualification du crime de guerre sont donc diffusés sur la base des déclarations de trois personnes dont aucune, dieu bénisse, n’était sur place. Les alinéas du Statut de Rome[13] fournissent les éléments de langage utiles aux conseillers juridiques des troupes humanitaires (puis médias) pour bâtir les témoignages étayant les interventions des « diplomates ».
Quelques mots -nous y reviendrons dans le prochain épisode- des photos censées illustrer l’événement dans la presse. Photos de deux sortes : soit (à RFI) des ruines à « Alep, fin août 2016. REUTERS/Abdalrhman Ismail », soit des photos du convoi humanitaire « bombardé » la veille de l’autre côté de la ville, à Urm al-Kubra. Au mieux avec légende de la date et du lieu de la photo, le plus souvent sans précision : à la libre appréciation du lecteur. La palme quand même au « Nouvelliste » qui affiche une photo d’ambulances toute neuves, sans sigle, sans date…
Le photographe Abdalrhman Ismail, dont les Casques Blancs sont un des sujets préférés, va alimenter en clichés d’autres reportages bien utiles pendant la semaine qui va précéder la charge de nos « diplomates » à l’ONU, le 8 octobre.
On trouvera sur le compte Facebook de l’Organisation Non Gouvernementale UOSSM des messages illustrant sa conception de la neutralité et de l’impartialité :
« ÉVÈNEMENT “Les amis de la Syrie” du 06/07/2012 : l’UOSSM rencontre le président de la république française.
Rencontre des membres de l’Union des Organisations Syriennes des Secours Medicaux (l’UOSSM dont AAVS fait parti) avec les représentants de l’état. Ici, le président M. François Hollande »[14]. Là « le ministre des affaires étrangères [M.] Laurent Fabius »[15] ; ou « M. Burhan Ghalioun l’ancien président du Conseil National Syrien »[16]…
Où l’on voit que dès sa fondation l’ONG a investi dans le renvoi d’ascenseur. Pour sa dernière opération, le taux de rendement en moins d’un mois est exceptionnel : 18 octobre, «A l’initiative de la député Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, une délégation d’Alep composée de médecins et de casques blancs conduite par l’UOSSM, sera reçue mardi 18 octobre par le parlement[17] et le mercredi 19 octobre par le Président de la République François Hollande »[18].
La délégation : « Dr Tammam Loudami, médecin, directeur régional [un nouveau ?] du Nord de la Syrie au sein de l’UOSSM, [qui] vit au coeur d’Alep Est (…) ; Brita Hagi Hassan, président du conseil local [élu comment ?] de la ville d’Alep ; Abdulrahman Almawwas, vice-président des casques blancs syriens ; Rade [plus exactement Raed] Al-Saleh, président des casques blancs syriens ». Apparemment résistant tous les quatre très bien aux conditions de vie épouvantables qu’ils nous décrivent (supra, vidéo de leur réception à la Commission Affaires étrangères).
Et pouvant donc sortir de la ville malgré le siège draconien qu’ils sont venus dénoncer à notre Assemblée nationale ; où aucun député ne s’en est étonné ?