En matière de propagande, la libération d’Alep par l’armée nationale syrienne et ses alliés russes, iraniens et libanais, nous fait atteindre des sommets himalayens !
Il y a d’abord eu – mardi dernier (13 décembre 2016) au Conseil de sécurité des Nations unies à New York – un moment grandiose lorsque s’adressant aux représentants de Syrie et de Russie, l’ambassadeur des Etats-Unis – Samantha Power – a osé déclarer le plus sérieusement du monde : « la Syrie, la Russie et l’Iran : trois Etats membres des Nations unies contribuent à mettre la corde au cou des civils. Cela devrait vous faire honte ! Au lieu de ça, cela vous donne visiblement encore plus d’audace : vous préparez votre prochaine attaque. Etes-vous vraiment incapables de remords ? N’y-a-t-il absolument rien qui puisse vous faire honte ? Est-ce qu’il n’y a aucun acte de barbarie contre des civils, aucune exécution d’enfant qui vous atteigne, qui vous glace ne serait-ce qu’un peu ? Est-ce que vous allez mentir sur tout, tout justifier ? »
Effectivement, il fallait oser ! Dans la rubrique spéciale « l’hôpital qui se moque de la charité », cela faisait longtemps qu’on n’avait pas fait aussi fort ! Le grand écrivain libanais Saïd Takeddine fait dire à l’une de ses héroïnes quelque peu désabusée qu’« il n’y a pas plus éloquent qu’une prostituée pour parler de la vertu… » En l’occurrence, c’est même faire injure à cette corporation que de l’associer, même indirectement, aux propos de Madame Power qui n’a pas dû bien saisir toute la portée de ce qu’elle était en train de dire.
Le million de victimes irakiennes du printemps 2003 fait-il honte à Madame Power (quel nom de famille évocateur, du reste…) ? Les dégâts collatéraux des tirs – quotidiens mais clandestins – des drones américains sur quinze points de la planète font-il honte à Madame Power ? La destruction d’une partie de l’Arctique par les Majors américaines fait-elle honte à Madame Power ? Les dizaines, sinon les centaines de milliers de victimes du Plan Condor (dont les corps d’une majorité d’entre elles n’ont jamais été retrouvés) font-elles honte à Madame Power ?
Durant le coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973 au Chili, un ami d’enfance de l’auteur de ces lignes, blessé mais encore vivant, a été emmuré derrière un paravent de briques et de ciment élevé par des maçons assassins encadrés par des fonctionnaires de l’ambassade américaine à Santiago… Rien d’honteux, en effet, dans ces multiples chantiers de terrassements de la liberté et des droits humains, mais une seule efficacité au nom du combat contre les dictatures communistes bien-sûr !
On pourrait poursuivre encore longtemps l’évocation des millions de disparus de ces terribles cortèges et déportations organisés par les administrations américaines successives – républicaines ou démocrates – depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la découverte des camps nazis et les procès de Nuremberg ! Alors, sur le plan de « la honte » Madame Power ferait mieux de se l’a coincer !
Parallèlement et simultanément, dans le style de Jean-Marie Colombani -« nous sommes tous Américains ! » -, les pages « Débats » du Monde ouvrent leurs colonnes du 15 décembre dernier, à deux personnages hauts en couleurs, sous le titre « SOS Alep ». Le premier est le fiston d’André Glucksmann (l’ex-mao devenu « nouveau philosophe », avant de finir sa vie au fond de la classe de l’école néo-conservatrice américaine), devenu conseiller de différentes officines liées à l’OTAN, en Ukraine, en Géorgie et partout où il s’agit de réveiller l’antisoviétisme primaire reconverti dans la haine de la Russie de Vladimir Poutine. A la ville comme à l’écran habillé par Maman, ce jeune homme est le compagnon de la speakerine Léa Salamé, ce monument de la pensée médiatique qui affirmait dernièrement sans rire à son ami Bernard-Henri Lévy que René Descartes avait été excommunié de l’Eglise à cause de son Discours de la méthode… Une réouverture urgente des Lagarde et Michard s’impose !
Chacun fait, bien évidemment, ce qu’il veut de sa vie privée, mais il est des apparentements du microcosme parisien qui en disent long sur l’idéologie médiatique dominante qui sévit dans notre vieux pays républicain. Depuis quelques décennies, celui-ci génère organiquement de petites coteries monarchiques héréditaires, celles des filles et fils de : Bernard-Henri Lévy déjà cité, Jean-Paul Enthoven, Richard Bohringer, Serge Gainsbourg, Gérard Depardieu, Guy Bedos, etc., etc., etc. Les Héritiers et La Reproduction de Jean-Claude Passeron et Pierre Bourdieu n’ont pas encore dit toutes leurs ruses… Plus que jamais, ces mécanismes de cooptation tribale, sinon mafieuse témoignent d’une exception française pas très glorieuse mais caractéristique du monde merveilleux de nos élites nationales et post-modernes.
L’autre signataire de ce SOS, tout aussi désopilant que « la honte » de Madame Power, est candidat à… l’élection présidentielle française ! Et bien que n’ayant jamais mis les pieds en Syrie et que, visiblement ne connaissant rien, mais alors strictement rien, des complexités de la région dont il prétend parler, ce quasi-inconnu profite honteusement – c’est ici le cas de la dire ! – de la tragédie syrienne pour faire acte de campagne. Il n’est pas très étonnant qu’un rescapé de cette piètre nébuleuse écologique française se retrouve ainsi embarqué dans une campagne de communication au service de l’OTAN.
Sans déconstruire toutes les fadaises des deux compères, on y retrouve bien toutes les grosses ficelles de la propagande transatlantique : « l’éradication de la population de TOUTE une ville » (les quartiers Est d’Alep regroupaient moins d’un tiers de la population de la deuxième ville de Syrie) ; « Alep crève comme Srebrenica et Grozny » ; « le maître du Kremlin assume », etc. Plus cocasse encore lorsqu’on lit qu’« Alep avait fait sa révolution… » Quelle révolution ? Celle de l’imposition de la Charia, des tribunaux islamiques et de la lapidation des femmes rebelles ? Permettons-nous de renvoyer ici à l’article très complet du Monde diplomatique de ce mois de décembre : « Qui sont les rebelles syriens ? » On comprendra mieux les choses… Mais est-bien le but recherché ?
Cet édifiant SOS électoral demande surtout aux électeurs français de juger et de voter, bien-sûr, en réclamant un renforcement des sanctions contre la Russie. Nous y voilà ! Sans un mot sur les guerres « humanitaires » globales de l’Occident – Afghanistan, Irak, Libye, Yémen, Palestine, etc. -, ni la moindre évocation des aveuglements intéressés des diplomaties américaines et françaises notamment, le nouvel ennemi planétaire est clairement désigné : la Russie de Vladimir Poutine. Là encore, les limites de notre papier nous obligent à faire un autre renvoi, en l’occurrence au livre définitif de notre ami Guy Mettan – Russie-Occident, une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne – Pourquoi nous aimons tant détester la Russie – paru aux éditions des Syrtes en mai 2015. Le livre en est à sa cinquième réédition.
Enfin, le meilleur est toujours à venir en guise de cerise subliminale : « l’indépendance de l’information ». Avec les deux signataires en question, soyez rassurez braves gens et dormez tranquille : l’OTAN et ce qui reste du parti écologiste de Vincent Placé – qui doit réformer l’Etat avant mai prochain – veillent au grain… Parfait tempo avec une autre campagne planétaire qui cherche à nous convaincre que la Russie de Poutine a fait élire Donald Trump, nos deux compères laissent entendre que les mêmes démons sont certainement responsables du Brexit, de la gamelle de Juppé et de la présence actée du Front national au second tour de la prochaine élection présidentielle française.
La CIA, le FBI et Barack Obama confirment que des plateformes « russes » ont bel et bien pesé sur le scrutin présidentiel américain. A voir… Une chose est confirmée : l’existence de plateformes « Toute la vérité », racontant tout et n’importe quoi d’absolument invérifiable mais empochant au passage un maximum de publicité avant de disparaître dans la nature numérique, celles-ci renvoyant à des hackers basés en Roumanie et en Ukraine… Mais que fait l’OTAN ? Les prédications de George Orwell sont dépassées comme le mur du son, un dépassement annonçant, dans un proche avenir, la criminalisation des journalistes européens – notamment français – qui continueront à collaborer avec des médias comme Radio Sputnik ou Russia Today. On y vient gentiment : vous verrez que nous connaîtrons alors les joyeusetés d’un nouveau maccarthysme qui a déjà commencé à étendre ses tentacules moralisatrices du genre SOS, version OTAN-écologie électorale en déshérence.
Toujours sous la rubrique « propagande-Alep », les enquêteurs de la chaine de télévision libanaise Al-Mayadeen (très sérieux et compétent ceux-là) ont passé les images des blogs, Face-trucs et autre Sweets-Home de la « rébellion » – affirmant rendre compte du martyr d’Alep – au scanner. Ils y ont découvert des images des rues d’Islamabad après l’assassinat de Benazir Bhutto (27 décembre 2007), des scènes d’été à Deir ez-Zor tournées dans des quartiers aux mains de Dae’ch et de vieilles séquences de la place Tahrir du Caire en pleine ébullition égyptienne du printemps 2011…
Enrôlées dans ce drôle de salmigondis bobo-universalo-pantoufles, ces pauvres victimes d’Alep-Est n’en demandaient certainement pas tant. Toujours est-il qu’on se souvient aujourd’hui avec effroi du martyr du village de Maaloula – le terme est ici pleinement approprié – tombé aux mains des islamistes de l’Armée syrienne libre (ASL) et du front Jabhat al-Nosra, le 7 septembre 2013, comme d’autres localités de cette région montagneuse du nord-est de Damas. Les informations et témoignages parvenus au patriarcat maronite de Bkerké (Liban) faisaient alors état de femmes violées des heures durant avant qu’on leur coupe les seins, les mains et les pieds…
Le patriarche Béchara Raï s’empressait de transmettre ces pièces terrifiantes aux services de Laurent Fabius qui n’en n’ont rien fait, considérant que les Chrétiens de Syrie – dans leur majorité – soutenaient le dictateur sanguinaire Bachar al-Assad, d’autant qu’une partie des violeurs « modérés » étaient armés par la France éternelle. A l’époque, la presse parisienne n’avait que faire de ces informations concernant des Chrétiens suspectés de soutenir le « régime de Damas ». Nicolas Truong, le petit censeur des pages « Débats » du Monde préférait s’en tenir aux affirmations mainstream de l’historien auto-proclamé Jean-Pierre Filiu et des « experts » de l’expertise, genre Frédéric Encel, Bruno Tertrais et Agnès Levallois pour lesquels le client est toujours roi.
Enfin, dernière coupure d’électricité au pays des Lumières : le maire de Paris Anne Hidalgo a décidé – le 14 décembre dernier – d’interrompre les illuminations de la Tour Eiffel en guise de solidarité avec Alep. Quelle détermination ! Elle aurait mieux fait de rouvrir les voies sur berge… mais bon, le besoin s’exprime comme il peut disait Jacques Lacan ! Ses Ecrits font toujours autorités pour comprendre les méandres du délire, comme les enseignements lumineux de L’Idéologie allemande de Marx qu’on ferait bien d’enseigner dans les école de journalisme.
On n’en prend pas le chemin au moment où le ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem interdit aux profs d’histoire d’évoquer devant les têtes blondes et crépues, les noms de Clovis, de Charlemagne, de Jeanne d’Arc et de… Rousseau (sic) ; ceux de géographie devant proscrire la « géographie physique » et autres « cartographies techniques » au profit d’un enseignement « thématique » et « problématique ». En installant des claviers d’ordinateurs dès les classes enfantines, on est ainsi assuré de produire des générations de crétins qui auront tout loisirs d’inscrire sur les fesses des « réseaux sociaux » ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas… SOS : « Je ressens donc je suis ! »
Ce pauvre Descartes excommunié, une fois de plus ! Avec ou sans l’aval des Oratoriens ? Nous demanderons à Léa Salamé ! Une chose est sûre : c’est non seulement une certaine idée de la France qui fout le camp, mais aussi une conception certaine du savoir et de l’intelligence qui, sans aucun doute, est en grand péril. Bonnes fêtes de Noël quand même