Que faire pour éviter la guerre civile ?

Le retour des djihadistes de Syrie et d’Irak inquiète les autorités. Pour Patrick Karam et Elie Haddad, les pays européens doivent rapidement adapter leurs législations et leurs pratiques sécuritaires au niveau de la menace islamiste.


Docteur en Science politique, Patrick Karam est président de la Coordination des Chrétiens d’Orient en Danger (CHREDO). Elie Haddad, médecin, est vice-président de la CHREDO.


Depuis dix-huit mois, la France, l’Europe et le reste du monde dit «libre» sont secoués par des actions terroristes qui vont crescendo et qui destabilisent profondément les sociétés en renforçant les clivages entre les populations. Si les responsables qui ont la charge de nos destins ne se réveillent pas à temps et ne revoient pas radicalement les conditions d’exercice des libertés, nos sociétés vont s’écrouler sous le poids du terrorisme comme des châteaux de cartes et notre paix se transformer en guerre civile.

Les auteurs des attentats terroristes se revendiquent de l’islamisme sunnite qui s’annonce aujourd’hui comme l’ennemi clairement affiché, en guerre totale contre le monde occidental “mécréant”. Les différentes variantes de ces mouvements radicaux qui se sont manifestées dans le champ politique avec l’essor du wahhabisme ou encore des «Frères musulmans» de Al Banna en Egypte à la fin du 19ème siècle, ont créé des régimes ou ont emprunté différents moyens de violence plutôt limités à la scène orientale qui leur a valu, suivant les moments et leur dangerosité, une surveillance étroite ou une répression féroce des régimes arabes militaires comme ceux de Nasser, de Sadate ou des Assad.

L’Occident, épargné par les soubresauts et les mutations de ces différentes mouvances, a collaboré étroitement avec le régime wahhabite d’Arabie Saoudite et certains pays du Golfe qui, à partir des années 70, ont utilisé la manne des pétro-dollars pour gagner en influence et semer à travers le monde une idéologie qui dans un premier temps était utile pour contrer l’Iran de Khomeini ou combattre le régime soviétique installé à Kaboul.

L’émergence du mouvement Al Qaeda de Ben Laden, issu de l’organisation Maktab al-Khadamât de l’idéologue Azzam qu’avait contribué à constituer les Etats-Unis pendant la première guerre d’Afghanistan contre Moscou, aurait dû inciter l’Occident, devenu cible prioritaire, à mettre un terme à son ambiguité avec les régimes et les mouvements islamistes et à renoncer à les manipuler à son profit. Mais la leçon ne servit pas.

Les Etats-Unis ont de même persisté dans leurs dérives en poursuivant une politique de déstabilisation de régimes arabes militaires comme en Irak ou en Syrie qui ont laissé le champ libre à l’émergence de factions créées sur une base religieuse et anti-occidentale.

Depuis Al Qaeda, nous avons assisté à la pullulation de mouvements islamistes, rivalisant dans leur extrémisme et leur violence sous des appellations multiples, jusqu’à Daesh, dernier avatar probablement le plus violent. L’avènement de ce qui a été appelé communément «le printemps arabe» a contribué à libérer ces multiples mouvements, leur permettant de s’étendre sur des millions de kilomètres et à structurer leur terrorisme, devenu prêt à être exporté au monde entier.

L’évolution de la mouvance islamiste s’est accompagnée d’une évolution des moyens de terreur. En effet, à des actions soigneusement planifiées et organisées s’est mêlé désormais un terrorisme «low-cost», comportant des actions isolées de deux ou plusieurs individus, mobilisés par les réseaux sociaux, pouvant agir dans tout coin de rue, capables d’ouvrir le feu ou de foncer sur la foule ou tout autre acte ignoble, mais tout autant imprévisible et meurtrier, scandant «Allah Akbar» en guise de signature.

Après la défaite attendue de Daesh, le retour des jihadistes formés aux combats, d’Irak et de Syrie dans leurs pays d’origine, et notamment en Europe, résonne comme un défi supplémentaire pour notre système sécuritaire et démocratique face à l’ampleur des menaces et à l’inadaptation des moyens juridiques, judiciaires et policiers pour y répondre.

Et après Daesh, il se trouvera encore d’autres terroristes pour frapper sur notre sol à commencer par ceux qui combattent au sein du conglomérat de mouvements islamistes réunis depuis janvier 2015 sous le label de l’armée de la conquête par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie et qui finiront immanquablement par se retourner contre l’Occident et ses alliés.

Les attentats que nous serons incapables de juguler et qui se multiplieront sur notre sol risquent d’entrainer la France et l’Europe dans un réarmement pénal d’autant plus extrême qu’il aura été pris sous le coup des émotions successives et dans une spirale déstabilisatrice par un raidissement de la société, ferment d’un affrontement prévisible entre Français, avec pour cible les citoyens de confession réelle ou supposée musulmane, malheureux otages d’une situation qui les dépasse.

La France doit désormais prendre conscience des enjeux qui guettent son unité, sa sécurité et sa liberté et prendre des mesures adaptées à la menace. Nous n’avons désormais plus le choix. Nous devons considérer que cette bataille est LA PRIORITE au-delà de toute autre considération, politique, économique ou autre et nous devons en conséquence faire tomber tous les tabous et nous affranchir de tous les liens et les dogmes qui sont de nature à fragiliser la société.

En effet, nous constatons que notre société est tétanisée, voire accablée, par le dogme et l’interprétation des valeurs qui l’empêchent de dépasser l’événement et la met à la merci des agresseurs. Les valeurs phares du 20ème siècle, des Droits de l’Homme aux libertés individuelles, de justice et même de laïcité, nées suite aux évolutions et aux révolutions du 19ème siècle, sont un socle indépassable et une ambition ultime mais elles doivent désormais être remodelées et adaptées aux défis du 21ème siècle car dans leur pratique actuelle, ces valeurs sont manipulées par les terroristes pour fragiliser nos sociétés et faciliter leur phagocytage.

Il ne faut pas avoir peur de revoir radicalement les outils qui permettront de défendre efficacement ces valeurs, leurs définitions et leurs portées afin de leur redonner leur dimension originelle au service de la société et de l’Homme et non l’inverse. Ces valeurs ne doivent plus constituer des dogmes figés, mais plutôt des repères dont le principal but est de protéger l’individu et la société.

Les valeurs de la République, dont la laïcité doivent être redéfinies en prenant en compte la réalité de ce début du siècle où nous assistons à une crise identitaire profonde des populations et des communautés, qui n’épargne pas plus l’Orient que l’Occident, et qui peut conduire à une opposition frontale et violente lorsque se retrouvent sur un même territoire, notamment par l’afflux massif de migrants déboussolés par la guerre, des populations radicalement dissemblables mais aussi lorsque le débat public devient otage de minorités qui prétendent imposer leur vision du monde bâtie autour du religieux et d’autres valeurs à une majorité largement laicisée.

Gommer les différences entre les identités par un grand principe est une illusion. Il faut s’attacher plutôt à comprendre le mécanisme qui peut entrainer des identités à devenir meurtrières et trouver le traitement qui colle au diagnostic.

Il est désormais établi que certaines mouvances musulmanes testent nos systèmes par une instrumentalisation de la religion et abusant sans vergogne du Coran, utilisent désormais nos principes et nos institutions et profitent de la neutralité que confère la laïcité pour imposer insidieusement leurs codes et leurs priorités et redessiner la société occidentale.

L’affaire du Burkini qui continue à faire couler beaucoup d’encre entre les arrêtés municipaux, les réactions opposées qu’ils ont suscitées et leur suspension par le conseil d’Etat, en est un exemple parmi d’autres. Se baser uniquement sur les principes théoriques de libertés individuelles sans prendre en compte les risques d’affrontements et de perturbation de la paix civile peut desservir les libertés et mettre en danger les individus, à commencer par nos compatriotes musulmans qui seront stigmatisés et pris à partie.

De même, les principes des libertés fondamentales doivent être redéfinis et adaptés en fonction de la dangerosité de l’individu. L’acte terroriste survenu à l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray est parfaitement révélateur de cette inadéquation entre droit et risques encourus. En effet, un des deux terroristes a commis son acte abject pendant l’heure de permission qui lui avait été accordée par les juges et a assassiné le Père Jacques Hamel alors qu’il portait son bracelet électronique et l’autre était parfaitement identifié par nos services.

On ne peut pas considérer qu’une personne dont l’ambition ultime consiste à tuer ou à massacrer devrait pouvoir jouir de tous les droits qui ont été acquis par des siècles d’évolution vers la démocratie. Nos règles qui exigent le passage à l’acte ou au mieux son imminence avant de prendre des mesures durables restrictives de liberté doivent être revues. Des actions préventives doivent pouvoir neutraliser sans tabou des individus dont on sait qu’ils franchiront les lignes, directement ou par connivence, et pourraient tuer sans vergogne et sans scrupule, des citoyens. Ces individus ne sauraient bénéficier de la possibilité d’échapper aux codes de la société sous prétexte de valeurs universelles auxquelles ils ne vouent aucun respect. L’enfermement systématique, la déchéance de nationalité, l’expulsion systématique d’étrangers sur lesquels pesent le moindre soupçon et le refus d’accueil sur le sol national doivent être facilités et doit leur être réservé le passage dans des prisons hautement sécurisés avec un traitement qui ne saurait leur laisser d’espace de récidive ou de contamination.

Les médias de ce point de vue attisent les ressentiments en surjouant la présomption d’innocence contre la réalité. On pourrait citer le cas du lycéen Mourad Hamyd qui après la tuerie de Charlie Hebdo a pu, avec la complaisance de certains journalistes, demander que son nom soit lavé de tout soupçon, juré que l’islam qu’il pratique est modéré alors que le dossier contre lui versé à l’enquête par la DGSI dès le lendemain de l’attentat montrait son accointance avec les mileux jihadistes et qu’il se faisait arrêter en août en Bulgarie pour avoir tenté de rejoindre la Syrie par le train.

Comment s’explique cet acharnement médiatique à trouver de force et à mettre en lumière une victime supposée innocente et pourquoi systématiquement qualifier les terroristes de déséquilibrés, ou tenter de minorer la part de la revendication liée à la religion, sinon par la volonté de montrer ou de prévenir les risques de l’amalgame. Alors qu’au contraire c’est bien ce déni de réalité qui finit par discréditer l’information et rendre hystériques des Français qui ont le sentiment d’un complot du silence contre les faits et finissent par faire des amalgames dangereux.

Les Français ont le droit à une information objective comme ils ont le droit à vivre sans peur et en sécurité sans qu’on serve une fatalité des circonstances pour les préparer à d’autres attentats qui peuvent être en grande partie évités si notre système judiciaire et notre corpus juridique se hissent à la hauteur des enjeux.

Dans l’intérêt du plus grand nombre, il devient urgent de revoir radicalement les fondements du monde libre, à l’évidence incapables de soutenir le poids actuel des tensions sociétales et dont l’effondrement serait fatal à l’humanité. Des faits divers qui ébranlent notre société en disent long sur la fragilisation que peuvent engendrer ces valeurs et la nécessité de revoir leur concept et l’adapter à notre temps. Pour éviter l’irréparable, pour protéger notre vivre-ensemble, pour préserver les 5 millions de musulmans qui sont des citoyens comme les autres, il est urgent de neutraliser quelques dizaines de milliers de radicalisés qui ne peuvent à eux seuls prétendre engager la France dans un conflit intérieur.

Les acteurs publics doivent avoir le courage et l’audace de revoir la législation de façon radicale pour stopper cette hémorragie. De même, la société doit être capable de s’attaquer, frontalement à ces défis urgents, et s’émanciper des tabous et des freins qui l’enfoncent et dont profitent les agresseurs.

Cette révision des échelles de valeurs sera certainement laborieuse, aura à faire face à des résistances et des blocages venant de classes politiques ou sociales habituées à des réactions épidermiques et à un attachement formel et pavlovien à ces valeurs. Il faudra savoir trouver les mots et les moyens de vaincre ces résistances. La société civile doit en effet savoir garder ces valeurs comme boussole et non comme dogme, tout en se focalisant sur le danger vital que risque la société à travers la manipulation effectuée par les agresseurs modernes de ces mêmes valeurs.

Autrement, il ne faudra pas s’étonner de voir l’extrémisme islamiste gagner du terrain en s’engouffrant dans ce qu’il considère être pour lui des brèches que constitue le système des valeurs universelles actuel. Face à cet extrémisme islamiste, sans cette réécriture profonde des valeurs, il ne faudra pas non plus s’étonner de l’émergence et de l’extension d’une réaction sociétale occidentale de plus en plus dur, dont les prémices sont actuellement plus qu’évidentes et dont les représentants commencent à gagner du terrain partout, y compris aux Etats Unis d’Amérique. La confrontation ne sera d’ailleurs que le prélude vers une dislocation des entités (le brexit n’étant que le début) et des conflits armés, voire des guerres civiles de plus en plus meurtrières.

Enfin, il faut considérer que le dernier champ de bataille stratégique se situe en Orient où se trouvent les sources du terrorisme à tarir. L’Occident et l’Europe en tête restent otages de leurs intérêts économiques avec les pays du golfe, mais aussi de leurs supposés liens privilégiés avec la Turquie. Or le mouvement terroriste de l’état islamique et ses multiples acolytes n’auraient pu initialement se créer et survivre sans le soutien financier des monarchies arabes, ni sans la complicité active de la Turquie. Cette dernière, en effet, a permis de renforcer les rangs des extrémistes islamistes en permettant aux illuminés du monde entier de franchir la frontière turco-syrienne. Par ailleurs, c’est la Turquie qui a permis aux mouvements terroristes de renflouer leurs caisses par la vente de leurs stocks de pétrole et de vestiges historiques pillés du sol de l’Irak et de la Syrie. La même Turquie qui exerce un chantage odieux sur l’Europe en menaçant d’ouvrir la vanne des réfugiés afin de nous plier à ses propres dictats.

À partir de là, l’Occident doit obligatoirement exiger de ces pays d’arrêter toute collaboration avec tous les mouvements extrémistes et tout double jeu, sous peine de rompre les relations communes. Les contrats et autres investissements financiers que nous risquons de perdre ne dépasseront, en aucun cas le prix de sa sécurité et de sa liberté. Et s’agissant des migrants, il est temps d’avoir le courage d’affronter la réalité en refusant fermement leur entrée sur notre sol au nom de l’intérêt des Etats d’origine qui perdent leurs élites et leurs forces vives indispensables à leur reconstruction et au nom aussi de la stabilité de notre système social et démocratique.

En parallèle, l’Occident doit savoir collaborer avec toutes les forces qui combattent sur le terrain les mouvements extrémistes tels que la Russie, l’Iran et comprendre que sa stratégie menée jusque-là attaquant à la fois le régime syrien et les extrémistes n’est plus viable. D’où l’obligation de revoir son ordre de priorités et agir exclusivement dans la perspective de battre l’extrémisme.