Présidence : la troïka cachée qui tient les rênes du pays…

En dépit de ce qui ressemble fort à un blocage total, les visiteurs de Rabieh restent confiants dans l’issue de l’échéance présidentielle.

Ils sont convaincus que le général Michel Aoun finira par être élu à la présidence de la République, « car il n’y a pas d’autre choix ». Selon eux, cela fait plus de deux ans que ceux qui sont hostiles à cette perspective cherchent à éviter d’en arriver là. Ils ont tout essayé, exploré toutes les pistes possibles et imaginables, et inventé toutes les excuses, évoquant même tous les noms possibles, en vain. Ils doivent finalement se rendre à l’évidence : le général Aoun est incontournable et il ne leur reste que la possibilité d’accepter le fait accompli.

Les partisans de cette thèse exposent les indices qui vont dans le sens de leur conviction, en commençant par le fameux dîner de l’ambassadeur de l’Arabie saoudite et les déclarations de ce dernier sur le fait que son pays ne pose pas de veto sur aucun candidat à la présidence. Ils évoquent ensuite toutes les tentatives locales, régionales et internationales qui ont abouti au même point : Michel Aoun bénéficie de la plus grande assise populaire chrétienne et préside le plus important bloc parlementaire chrétien, tout en ayant l’appui du Hezbollah. Par conséquent, tant qu’il est dans la course à la présidence, il ne peut pas être ignoré, à partir du moment où il est impossible de réunir le quorum des deux tiers requis pour l’ouverture de la séance parlementaire destinée à l’élection présidentielle sans la participation du Courant aouniste et du 8 Mars.

Les partisans de cette thèse estiment aussi que la position du leader druze Walid Joumblatt est un indice significatif de l’acceptation bon gré, mal gré du fait que l’élection du général Aoun est inéluctable, à plus ou moins brève échéance. Pour les défenseurs de cette théorie, M. Joumblatt est l’un des piliers de la fameuse troïka occulte qui dirige les destinées du pays depuis la conclusion de l’accord de Taëf. À cette époque-là, on avait tendance à dire que la troïka du pouvoir était composée du président de l’époque Élias Hraoui, du président de la Chambre Nabih Berry et du Premier ministre d’alors Rafic Hariri. La réalité était pourtant quelque peu différente, puisque le président Hraoui n’était pas vraiment un partenaire à part égale et le troisième pilier véritable au sein du pouvoir était donc Walid Joumblatt. Ces trois hommes avec tout ce qu’ils représentent ont tenu les rouages de l’État pendant des années. Même lorsqu’ils étaient en conflit sur un dossier précis, ils parvenaient toujours au final à s’entendre en se partageant les influences.

Malgré le clivage politique qui a suivi l’assassinat de Rafic Hariri, le système a continué à fonctionner, avec Saad Hariri à la place de son père et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora à la place de ce dernier lorsqu’il avait choisi de s’éloigner du pays. D’ailleurs, toutes les nominations au sein de l’administration publique correspondent à ce partage d’influence entre les piliers de la fameuse troïka, même pendant les années où le pays était déchiré entre 14 et 8 Mars.

C’est pourquoi le fait que Walid Joumblatt ait accepté l’élection de Michel Aoun à la présidence pour sortir de l’impasse actuelle ne peut qu’être un signe précurseur d’un changement d’attitude sur ce dossier de la part du président de la Chambre Nabih Berry. En se rendant à Aïn el-Tiné pour lui présenter ses vœux à l’occasion du Fitr, Michel Aoun aurait donc voulu briser la glace avec Nabih Berry et faciliter indirectement l’ouverture d’un dialogue « présidentiel » avec lui. La déclaration de M. Berry sur le fait qu’il considère que le dossier des ressources pétrolières et gazières est totalement indépendant de celui de la présidence ne serait donc qu’une invitation à ouvrir le débat sur ce sujet. Le président de la Chambre préférerait ainsi négocier chaque dossier séparément, mais le fait de le dire est interprété comme un signe positif.

Il ne resterait donc plus que Saad Hariri qui jusqu’à présent continue de refuser l’idée d’élire Michel Aoun à la présidence. Mais, face au changement probable des positions de MM. Joumblatt et Berry, il pourrait devenir plus souple, sachant que ses choix sont de plus en plus limités, alors que le fait de revenir à la tête du gouvernement devient de plus en plus important, voire urgent pour lui. Il ne s’agit pas seulement d’une question matérielle et financière, mais aussi de la reconquête de sa place auprès des dirigeants saoudiens et surtout de retrouver son leadership au Liban, terni par les dissensions internes et les appétits de ses lieutenants, qu’ils soient des faucons ou des colombes. D’ailleurs, le coup d’État manqué en Turquie a montré aussi de nouvelles divisions au sein de la rue sunnite au Liban, qui était tiraillée entre l’appui au président Erdogan (à Tripoli notamment) et l’attirance envers les putschistes avant l’annonce de leur échec. Saad Hariri aurait donc besoin de redorer son blason à la fois auprès de sa base et auprès des dirigeants saoudiens, et surtout de ressouder les rangs de sa base populaire.

L’acceptation de Michel Aoun à la présidence est le plus court chemin pour y arriver. C’est, en tout cas, la thèse défendue par ceux qui sont convaincus que tôt ou tard le général Aoun sera élu à la magistrature suprême. Mais c’est oublier les facteurs régionaux qui continuent de peser sur cette échéance et qui augmentent les divisions entre Téhéran et Riyad