« Pour marquer des buts, il faut être sur le terrain »…

À Rabieh, le domicile du général Michel Aoun ne désemplit pas, les nouveaux conseils municipaux venus de la plupart des régions se succèdent, montrant que le CPL continue à avoir des partisans sur l’ensemble du territoire libanais.

À la différence d’autres partis, qui ont essuyé des défaites significatives dans certaines régions, le CPL a conforté son influence dans tous les mohafazats, confirmant son ancrage national. Certes, il y a eu dans plusieurs localités des duels entre ses partisans eux-mêmes. Ce qui a pu être interprété comme une absence d’homogénéité au sein de ce parti, ou encore comme des divisions internes. Mais les responsables préfèrent dire qu’il s’agit simplement d’enjeux familiaux et de rivalités locales qui ont poussé la direction du parti à laisser le libre choix aux électeurs, considérant que quel que soit le vainqueur, il sort de ses rangs ou de ceux de ses sympathisants.

Le bilan des élections municipales est donc positif pour le CPL qui estime qu’il s’en est mieux sorti que les autres composantes politiques, sachant que, comme d’habitude, le moindre de ses échecs est amplifié et tout ce qui le touche est scruté à la loupe par les différentes parties politiques. C’est ainsi que ses rivaux ont critiqué sa participation à la liste de coalition à Beyrouth, affirmant qu’en acceptant d’intégrer cette liste, le CPL a balayé toutes ses campagnes précédentes contre la corruption. La réalité est bien simple : à Beyrouth, dans le découpage actuel, s’il mène la bataille seul ou sans les alliances larges, le CPL ne peut pas l’emporter et l’expérience lui a montré que s’il veut des informations, il doit être à l’intérieur, car de l’extérieur, on entend beaucoup de rumeurs, mais rien de concret. En intégrant la liste de coalition, le CPL a en quelque sorte appliqué la théorie du foot, selon laquelle « pour marquer des buts, il faut être sur le terrain ». Mais cela ne change en rien son combat contre la corruption, sachant que les documents présentés au procureur financier sont enregistrés et qu’il n’y a pas de prescription dans ce domaine.

À Jounieh, l’enjeu était différent. D’abord, le général Aoun est la tête de liste du bloc parlementaire de cette région, considérée comme le « réservoir maronite » et la faiseuse de leaders chrétiens. IL était donc important pour M. Aoun de mener cette bataille, surtout face à la grande coalition qui s’est liguée pour faire échouer son candidat. Inutile de revenir sur les détails de la bataille de Jounieh à laquelle on a voulu donner des airs de Waterloo. Mais Jounieh est restée fidèle à ses choix politiques, ainsi que la plupart des municipalités du Kesrouan. Du Akkar au Sud, en passant par la Békaa et le Mont-Liban, le parti de Michel Aoun a montré qu’il est encore la formation la plus représentative au sein de la communauté chrétienne, en dépit de toutes les tentatives pour le discréditer ou pour affirmer le contraire. Cela n’empêche pas pour autant « le général de Rabieh » et ses visiteurs d’étudier soigneusement les résultats, de dresser des bilans détaillés… et de préparer de nouvelles batailles, dont la plus importante est, aux yeux de Rabieh, celle de la loi électorale. C’est cette bataille qui permettra de connaître les véritables intentions des différents protagonistes parce qu’elle déterminera l’identité de la classe politique pour les prochaines années à une période particulièrement délicate pour l’ensemble de la région. À ce sujet, à Rabieh, on se demande si après les résultats des municipales, le courant du Futur si attaché à la loi actuelle maintiendra sa position ou bien acceptera une nouvelle formule pour pouvoir se relever…

De son côté, le CPL se considère toujours comme une force de changement, fort du mandat populaire qui lui a été renouvelé. Il veut avoir une approche nouvelle, mais la base a parfois du mal à suivre. Le général Aoun est en tout cas convaincu que le mouvement qu’il a créé est un facteur de stabilité pour le pays et pour les chrétiens en particulier dans toutes les régions, grâce au réseau d’alliances qu’il a nouées sur l’ensemble du territoire. C’est dans ce contexte que sont placées les positions du député du Akkar Khaled Daher – qui a conforté par ailleurs son influence dans la région, indépendamment de celle du courant du Futur – et qui déclare ouvertement son appui au général Aoun. De même, l’alliance avec le Hezbollah a assuré un filet de sécurité dans plusieurs régions, alors que l’entente avec les Forces libanaises a permis aux chrétiens de souffler et de se tourner vers d’autres défis au lieu de rester concentrés sur les zizanies internes.

Ce survol rapide aboutit finalement à la présidence dont on dit qu’elle a des chances de se réaliser dans les prochains mois. À Rabieh, on ne commente pas beaucoup ces rumeurs considérant que la présidence est une question de droit pour les chrétiens. Le général a donc le mérite d’avoir remis ce concept dans la conscience des chrétiens, anesthésiée par des années de tutelle syrienne et d’hégémonie des autres partenaires au sein de la nation. La présidence doit aujourd’hui répondre à des critères précis de représentativité. Au cours de ces deux dernières années, tous les moyens et les stratagèmes ont été utilisés pour détruire ce concept et pousser les chrétiens à céder. Mais au final, non seulement les stratagèmes ont échoué, mais en plus, de nombreuses parties ont adhéré à cette revendication. Est-ce à dire que Baabda est « à portée de vote » du général de Rabieh ?

Des indices pourraient faire pencher la balance de ce côté. Il y a par exemple la levée du véto posé à la candidature de Aoun par l’Arabie saoudite, d’autant que le général était le seul à avoir été invité en famille au dîner de l’ambassadeur Assiri, les dernières déclarations du leader druze Walid Joumblatt, les propos rapportés par les médias du président français au chef du Futur Saad Hariri et d’autres signes du même genre. Suffisent-ils à faciliter la tenue de l’élection présidentielle ? La réponse n’est pas encore évidente.