Liban : nouvelles secousses saoudo-iraniennes en perspective ?

Le président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri affichent une obsession commune : préserver le pays des conflits régionaux et garder le cap du consensus arraché après deux ans et demi d'impasse au sommet de l'État (AFP)

Encouragée par l’arrivée de l’administration Trump, l’Arabie saoudite a renoué avec le ton hostile au Hezbollah et à l’Iran. Le fragile gouvernement libanais pourrait faire les frais d’un regain de tensions entre les puissances régionales
« Les Libanais devraient faire le choix entre soutenir [le Hezbollah] ou s’opposer à lui ». C’est par ce tweet du ministre d’État saoudien chargé des affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, que Ryad a récemment tenu à rappeler au bon souvenir des autorités libanaises la position de la monarchie pétrolière vis-à-vis du Liban. Cela faisait plusieurs mois qu’un officiel du royaume ne s’était pas exprimé sur le dossier sensible des armes du Hezbollah. Les activités militaires de la milice, qui a déployé ses combattants en Syrie aux côté du régime de Bachar al-Assad, sont dénoncées par Riyad et ses alliés au pays du Cèdre.

Certes, « ces propos ne dépassent pas – pour l’heure – leur aspect déclaratif », tempère Julien Théron, enseignant en conflits et sécurité internationale à Science Po. Un comeback plus dans la forme que dans le fond donc, motivé, selon le chercheur, par une volonté de l’Arabie saoudite « de reprendre pied politiquement au Liban ».

L’Arabie saoudite a la volonté de « reprendre pied politiquement au Liban »

– Julien Théron, enseignant à Science Po

Ces trois dernières années, les représentants saoudiens s’étaient tenus relativement à l’écart des affaires du pays du Cèdre. Ce retrait s’est surtout fait ressentir en février 2016, quand le royaume avait annoncé la suspension d’un contrat d’armement de 3 milliards de dollars devant permettre de moderniser l’armée libanaise, accusée par Riyad d’être à la botte du parti de Dieu.

La bataille remportée en août dernier par les militaires contre Daech a permis à cette dernière de redorer in extremis son blason face à un Hezbollah omniprésent depuis le début du conflit syrien dans la lutte contre les groupes armés venus du voisin en guerre.

Une victoire dont l’Arabie saoudite pourrait être tentée de profiter pour sortir de son silence, pense Julien Théron.
Surenchère sunnite

Signe supplémentaire du réveil de la monarchie pétrolière, Adel al-Joubeir, chef de la diplomatie saoudienne, a récemment redoublé d’invectives contre l’Iran lors d’une conférence de presse à Londres, accusant la République islamique de « déstabilise[r] la région au moyen du Hezbollah et des attaques terroristes ».

Pas sûr, cependant, que ce regain d’agressivité soit suivi par les relais traditionnels de Riyad à Beyrouth.

À commencer par le Premier ministre. Les relations entre Saad Hariri et le royaume des Saoud ne sont plus au beau fixe. La récente faillite de Saudi Oger, l’empire du BTP érigé par son père Rafic Hariri, est en partie liée aux difficultés financières rencontrées par la monarchie pétrolière. Le gouvernement saoudien, son premier client, devrait pas moins de huit milliards de dollars au géant de la construction, selon l’agence Reuters.
Si Riyad devait revenir dans le jeu libanais, il pourrait solliciter de nouveaux alliés, jugés moins consensuels vis-à-vis du Hezbollah.

« Certains faucons sunnites [au Liban] ont le sentiment que Saad Hariri a fait trop de concessions », note Karim Bitar, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Cette tendance s’est traduite dans les urnes lors des dernières municipales. Saad Hariri a été battu dans la grande ville de Tripoli par son rival Achraf Rifi, également proche de l’Arabie saoudite.

« On pourrait assister à une surenchère sunnite. Il y a un créneau qui pourrait s’ouvrir du côté de la mouvance radicale. Plusieurs prédicateurs, pour beaucoup des salafistes plutôt quiétistes, pourraient faire leur entrée au parlement lors des prochaines législatives [prévues au printemps 2018] », poursuit Karim Bitar.
Diversification iranienne

Moins favorables au Hezbollah qu’à l’ordinaire, les résultats des dernières élections municipales de 2016 ont aussi exposé des fissures au sein de la base populaire du parti dans ses territoires traditionnels au Sud-Liban et dans le Hermel (nord-est).

En parallèle, le puissant parrain iranien chercherait à diversifier ses appuis dans la Syrie voisine.

« Téhéran s’est attelé depuis quelques années à bâtir des structures alternatives [au Hezbollah… et] se méfie probablement de l’autonomisation trop poussée [du groupe] »

– Chloé Berger, conseillère au Collège de défense de l’OTAN

« Compte tenu des risques de ‘’fatigue’’, à la fois militaire et sociale, qui guettent le Hezbollah, Téhéran s’est attelé depuis quelques années à bâtir des structures alternatives. L’émergence de ces clones du Hezbollah pose la question du devenir à terme du mouvement libanais au sein du dispositif régional iranien », indique Chloé Berger dans un rapport de l’IFRI publié en mai dernier (« Le Hezbollah, héraut des ambitions régionales iraniennes ? »). Les Brigades Abou al-Fadl al-Abbas font partie de ces milices chiites ayant émergé avec le conflit en Syrie.

De plus, « Téhéran se méfie probablement de l’autonomisation trop poussée [du Hezbollah] : la figure de proue du mouvement, Hassan Nasrallah, gagne en effet en influence auprès des milices armées chiites de la région, comme le montre la récurrence de ses portraits dans l’iconographie de ces groupes en Syrie », écrit la spécialiste, conseillère en recherche à la faculté Moyen-Orient du Collège de défense de l’OTAN à Rome.
Les armes du Hezbollah en suspens

Du côté de l’establishment libanais, on veut garder le cap du consensus arraché après deux ans et demi d’impossibles tractations pour élire un président. En 2015, le basculement de l’équilibre militaire en Syrie en faveur du régime et de ses alliés, l’Iran et le Hezbollah notamment, s’était directement répercuté sur le Liban.

« La configuration actuelle du gouvernement est liée à la libération d’Alep », rappelle à MEE Pierre Abi Saab, rédacteur en chef adjoint du quotidien Al Akhbar. La reprise par les forces pro-Bachar al-Assad de la capitale économique du pays s’était alors soldée par l’accession de Michel Aoun, allié chrétien du Hezbollah, à la présidence de la République libanaise. Nommé chef du gouvernement, « Saad Hariri a fait un effort réaliste contre son propre camp [opposé à Damas] pour aboutir à un compromis », fait remarquer l’éditorialiste.

Depuis, le tandem Aoun-Hariri affiche une obsession commune : préserver le pays des conflits régionaux, quitte à mettre entre parenthèses le dossier de l’arsenal militaire du Hezbollah.

Bien sûr, « les armes resteront un problème », confie à MEE le député Alain Aoun. Ce neveu du chef de l’État se veut réaliste : « La gestion du différent s’est traduite par un accord autour de la présidentielle. Il y a eu une certaine cohabitation entre deux camps qui sont totalement opposés mais qui ont trouvé un modus operandi. Un accord ne peut pas se faire indépendamment du processus régional ».

« Pour le moment, il n’y a pas de solution », déclare pour sa part Atef Majdalani, élu du Courant du Futur, la formation de Saad Hariri, à MEE.
Durcissement américain

Le durcissement de la nouvelle administration américaine face à la République islamique pourrait faire ressurgir les lignes de fractures.

« Les déclarations saoudiennes ne sont peut-être pas tant à destination du Liban lui-même que de Washington, pour soutenir l’offensive diplomatique de Donald Trump et Rex Tillerson, qui viennent de mettre Téhéran sous pression par rapport à l’accord sur le programme nucléaire iranien. Le timing présente donc pour Riyad une double opportunité », continue Julien Théron.

« S’il y a un embrasement avec le Hezbollah [dans sud de la Syrie], il pourrait y avoir une guerre sur deux fronts car les territoires libanais et syrien sont imbriqués et interdépendants »
– Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS

Un durcissement qu’appelle aussi de ses vœux Israël, inquiet à l’idée du retour au Liban de combattants du Hezbollah rodés par plusieurs années de combats en Syrie et de la présence de milices iraniennes et irakiennes dans le Golan, qu’il occupe.

« Le sud de la Syrie est très contesté car l’Iran veut s’y installer sur la durée. […] Cela entraîne de vraies craintes israéliennes. S’il y a un embrasement avec le Hezbollah à cet endroit, il pourrait y avoir une guerre sur deux fronts car les territoires libanais et syrien sont imbriqués et interdépendants », relève Karim Bitar.
Signe que les choses sont en train de se réorganiser, les responsables libanais multiplient en ce moment les déplacements à l’étranger. Après Moscou le 31 août, Saad Hariri s’est rendu à Paris où se trouve actuellement Michel Aoun pour une visite d’État en grandes pompes, la première du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Le président français a annoncé la tenue de deux conférences importantes consacrées aux investissements et à l’armée libanaise. Une initiative destinée à renforcer « les capacités de l’armée libanaise afin que le gouvernement soit pleinement en mesure d’étendre son autorité sur l’ensemble de son territoire », a déclaré Emmanuel Macron.

En marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le président français avait exprimé ses craintes au sujet du Hezbollah au Liban : « C’est là où peut apparaître la conflictualité dans la région dans les prochains mois ».

Face à un Donald Trump avide de déclarations tempétueuses à l’adresse de l’Iran, la France, fidèle alliée du Liban, et qui cherche à revenir sur l’échiquier moyen-oriental, pourrait essayer d’apaiser les tensions.