Le Futur et la présidentielle. Non à Aoun… pour mieux négocier?

La semaine politique a été dominée par les «fuites» sur les débats au sein du bloc parlementaire du Futur au sujet de la présidentielle. Qu’il y ait ou non vote des députés sur cette question, il n’en reste pas moins que ce développement est suffisamment nouveau pour entraîner de nombreuses interprétations. Quels sont les messages délivrés à partir de ces fuites? C’est ce que nous tenterons de préciser.

D’abord dans les faits: la réunion du Bloc du Futur aurait eu lieu la semaine qui a précédé les rencontres marathons du dialogue. Le chef du bloc, Saad Hariri, a voulu sciemment ouvrir un débat interne sur cette question pour permettre au représentant de son courant aux réunions du dialogue national d’adopter une position claire. L’ancien Premier ministre aurait donc ouvert la réunion en disant qu’il a personnellement adopté la candidature du chef des Marada à la présidence depuis plus de neuf mois, mais aujourd’hui, l’impasse politique est telle qu’il souhaite examiner cette question avec les députés de son bloc. Selon les fuites parvenues à la presse, Saad Hariri aurait ainsi expliqué aux députés présents que l’impasse politique actuelle est en train de menacer toutes les institutions du pays.

Il ne s’agit plus simplement d’une vacance présidentielle, mais de l’effritement de toutes les institutions du pays, dont la paralysie du gouvernement et l’inaction du Parlement, sachant que les prochaines élections législatives sont aux portes et qu’avec la difficulté de s’entendre sur une nouvelle loi électorale, leur sort est sur la sellette, alors que les dossiers insolubles se multiplient et font du tort aux citoyens. Dans ce contexte complexe, aurait ajouté le chef du Courant du futur, il reste la possibilité d’adopter la candidature du général Michel Aoun à la présidence et il aurait ainsi sollicité l’avis des membres de ce bloc sur cette question.

Selon «les fuites», Hariri aurait ensuite laissé la parole aux députés qui auraient tous donné leurs avis sur la question, certains s’exprimant plus longuement que les autres, mais chacun prenant soin de donner des arguments pour justifier sa position. Au final, vingt-trois députés se seraient prononcés contre l’adoption de la candidature de Michel Aoun, alors que trois seulement se seraient montrés favorables à cette option. Hadi Hobeiche aurait accepté l’idée pour des considérations électorales chrétiennes relatives à sa région, le Akkar, alors que Bassem Chab a, depuis quelque temps déjà, défendu cette option à titre personnel. Considéré comme proche des Américains, sa position est même interprétée comme un indice indirect sur une position favorable de l’Administration américaine à l’égard de l’élection du général Aoun à la présidence.

Le troisième député favorable à cette option est le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, qui, au sein du Courant du futur, est le principal défenseur de cette thèse. Il a même fait une déclaration dans ce sens il y a une quinzaine de jours, assurant qu’avant la fin de l’année, le Liban devrait avoir un président, laissant entendre qu’il pourrait s’agir du général Michel Aoun.

Face à ces trois députés, les vingt-trois autres membres du bloc auraient, au contraire, estimé qu’accepter la candidature du général Aoun serait une grande concession au Hezbollah que le Courant du futur n’est pas obligé de faire. Il a déjà accepté, dans un grand sacrifice, la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié. Il ne doit donc pas aller plus loin, d’autant que le conflit est maintenant entre Frangié et Aoun. C’est donc à ces deux candidats de trouver des solutions entre eux et non au Courant du futur.

Hariri «démocrate»

Sur la base de ces débats et de leur résultat qui montre une nette opposition des députés à l’adoption de la candidature de Aoun, le chef du Bloc du Futur, Fouad Siniora, a pu, en toute certitude, affirmer pendant les réunions du dialogue son opposition à l’élection de Aoun et son attachement à la candidature de Frangié.
Les réunions du dialogue s’étant terminées sur un fiasco, pourquoi avoir donné à la presse l’information sur les débats internes du Bloc du Futur?

Les analystes apportent différentes explications à ce développement. D’une part, ce débat montre que Saad Hariri se comporte avec les membres de son bloc parlementaire en chef démocrate qui, non seulement sollicite leur opinion mais aussi en tient compte dans ses décisions. Bien entendu, nul ne demande pourquoi il n’a pas suivi la même démarche, lorsqu’il a décidé, du jour au lendemain et sans préambule, d’adopter la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la présidence de la République. On se souvient pourtant de l’opposition affichée du député Ahmad Fatfat à cette décision, avant de rentrer dans le rang, ainsi que de celle du ministre Achraf Rifi, qui a d’ailleurs abouti à son départ du bloc…

Saad Hariri a donc voulu se poser cette fois en chef démocrate, connaissant toutefois par avance la position de la majorité des membres de son bloc. Il a certes essayé de défendre cette option dans l’introduction qu’il a faite au début de la réunion, mais il n’a pas réussi à convaincre les députés d’adopter cette option. Pourquoi, dans ce cas, avoir donné l’information à la presse?

La raison la plus crédible serait la suivante: Saad Hariri a voulu rejeter sur les députés membres de son bloc la responsabilité du refus de l’adoption de la candidature de Aoun à la présidence. Il a adressé ainsi un message au général Aoun et à son allié, le Hezbollah, pour montrer qu’il a fait de son mieux pour les convaincre d’adopter cette option, en vain. Mais tout en montrant la féroce opposition de son camp à cette option, Hariri laisse une petite porte ouverte, sachant qu’il reste le chef du Courant du futur et finalement le principal décideur s’il le juge bon. Le chef, surtout d’un courant aussi important, a toujours la latitude de prendre une décision, même si sa base n’y est pas favorable, s’il estime qu’elle est dans l’intérêt de son camp, voire de son pays.

Une carte en main

Cette carte est donc toujours entre les mains de Saad Hariri, mais pour qu’il décide de l’utiliser, allant à l’encontre de la volonté de sa base, il faut lui donner des arguments solides. Vue sous cet angle, l’information rapportée dans les médias prend une nouvelle dimension et se transforme en porte ouverte à une négociation plus approfondie et sérieuse sur le dossier présidentiel. C’est un peu comme si Saad Hariri disait indirectement à Michel Aoun et au Hezbollah: si vous voulez que j’accepte la candidature du «général» à la présidence, il faut me donner plus que la présidence du Conseil. Il est d’ailleurs clair qu’il ne suffit pas aujourd’hui de ramener Saad Hariri au Grand sérail, il faut aussi lui donner des assurances sur son maintien à cette fonction pendant toute la durée du mandat présidentiel. Ce qui signifie qu’il faudrait, pour le 8 mars et ses alliés, renoncer à l’idée du tiers de blocage au sein du gouvernement, instauré depuis l’accord de Doha en mai 2008.

Sur la base de cette analyse, on peut conclure qu’en divulguant ces informations à la presse sur la réunion de son bloc parlementaire, Saad Hariri a dissipé l’atmosphère optimiste sur une élection présidentielle rapide et, en même temps, il a ouvert la voie à une nouvelle négociation sur ce dossier.

Le sacrifice pour éviter le vide!

Selon des sources du Courant du futur, Saad Hariri aurait déclaré devant les députés membres de son bloc qu’il serait prêt «au grand sacrifice qui consisterait à accepter la présidence de Michel Aoun pendant six ans, pour éviter le vide institutionnel au Liban». Les députés n’ont pas été convaincus par ces propos, mais le risque du vide institutionnel pourrait devenir plus menaçant et à ce moment-là, les positions pourraient changer