Échec au Liban, mat au Yémen…

Dans le vaste échiquier qu’est aujourd’hui le monde, et en particulier le Moyen-Orient, chaque coup d’un camp est immédiatement suivi d’un autre du camp adverse. Après le revers essuyé par les dirigeants saoudiens suite à la démission controversée du Premier ministre Saad Hariri depuis Riyad, ceux-ci revendiquent aujourd’hui le retournement de l’ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh contre ses alliés depuis le début de la nouvelle guerre au Yémen, les houthis. Cette guerre fait d’ailleurs rage depuis plus de deux ans et demi, mais il a fallu ce renversement spectaculaire de situation pour qu’elle soit enfin à la une de l’actualité. Et ce qui rend ce développement encore plus important, c’est l’empressement des médias saoudiens à le mettre en avant et à qualifier désormais Ali Abdallah Saleh, qui, avant le 2 décembre, était « le président déchu », d’ « ancien président ». De plus, bien qu’il ait surpris ses alliés, le « retournement » de Ali Abdallah Saleh avait été évoqué par le prince héritier d’Arabie Mohammad ben Salmane, qui avait déclaré récemment que ce dernier est « sous le joug des houthis, mais que s’il avait le choix, sa position serait différente ».

S’il est encore trop tôt pour évaluer les retombées de la nouvelle situation au Yémen et la réaction des houthis (qui, selon leurs médias ont envoyé hier un missile Cruise sur une installation nucléaire à Abou Dhabi), on peut dire qu’à ce stade, les dirigeants saoudiens ont marqué un point contre les présumés protégés de l’Iran. Et leurs médias ne se privent pas d’ailleurs de s’en vanter.

Ce qui est sûr, c’est que ce développement au Yémen arrive à bon escient pour faire passer au second plan le revers essuyé au Liban. En effet, même si les détails de la nouvelle déclaration ministérielle qui devrait mettre en avant la politique dite de distanciation n’ont pas encore été divulgués, il est de plus en plus clair que le Premier ministre Saad Hariri n’a pas l’intention de présenter sa démission. Au contraire, il s’apprête même à présider la délégation officielle libanaise à la conférence des Amis du Liban qui doit se tenir à Paris vendredi sur une initiative du président français Emmanuel Macron. En toute logique, s’il préside la délégation officielle libanaise, c’est qu’il est encore en fonctions. Il y a donc deux possibilités : soit que la question du scénario de la reprise gouvernementale n’aura pas encore été tranchée d’ici à vendredi, et Saad Hariri reste en fonctions tant qu’il n’a pas officiellement démissionné, soit que le scénario aura été d’ici là mis au point et exécuté. Ce qui signifierait que la question aura été réglée avant vendredi. Des sources proches du pouvoir privilégient cette seconde hypothèse et estiment que d’ici à vendredi, le gouvernement devrait avoir tenu sa grande réunion de retrouvailles à Baabda sous la présidence du chef de l’État. Mais pour l’instant, aucune convocation officielle n’a été adressée aux ministres.

Entre-temps, les dirigeants saoudiens, tantôt par la voix du prince héritier, tantôt par celle de son ministre des Affaires étrangères Adel al-Joubeir, ou encore par leurs médias, lancent chaque jour des déclarations menaçantes, ou en tout cas très critiques, à l’égard du Liban. Certaines s’adressent directement au Premier ministre Saad Hariri, pour le pousser à prendre des mesures radicales contre le Hezbollah et d’autres comportent des menaces à peine voilées sur la situation économique et autre, à l’ombre des armes du Hezbollah. Selon un diplomate arabe en poste au Liban, c’est la première fois dans l’histoire des relations libano-saoudiennes que les allusions des dirigeants du royaume sont aussi claires et directes. Ce qui, toujours selon le diplomate précité, montre qu’effectivement l’Arabie a changé dans le sens d’une politique plus offensive et claire. Mais cette attitude montre aussi que les dirigeants du royaume ont perdu une partie de leur grande influence traditionnelle au Liban. Au point qu’ils sont contraints de monter eux-mêmes au créneau pour formuler des exigences claires. Cela signifie, selon le diplomate, que, d’une part, leurs alliés traditionnels ne sont plus en mesure de relayer leurs demandes de façon efficace et qu’ils sont ainsi amenés à le faire eux-mêmes. Et d’autre part, cela montre qu’ils ne sont plus très intéressés par le Liban, au point qu’ils font des déclarations qui ne portent pas seulement préjudice au Hezbollah et à ses alliés, mais à tout le pays et à sa stabilité économique. En poussant Saad Hariri à démissionner et après l’échec de la tentative d’encourager son frère Baha’ à prendre la relève (ces informations sont désormais confirmées par plusieurs sources, notamment le leader druze Walid Joumblatt, qui s’est retiré de la réunion avec un proche de Baha’ Hariri, Saleh Kalo, venu lui soumettre le projet), les dirigeants saoudiens ont donc été à l’encontre de la volonté de la rue sunnite qui a resserré les rangs autour du Premier ministre. C’est un peu comme s’ils se désintéressaient désormais de cette rue, qui a longtemps été leur élément de force au Liban. Il s’agit donc d’un grand changement dans les relations libano-saoudiennes, dont la concrétisation et l’impact sur l’intérieur libanais restent encore toutefois à préciser.