Aoun convient avec Poutine de la nécessité de «créer les conditions propices» au retour

Le président Poutine recevant, hier au Kremlin, Michel Aoun. Maxim Shemetov/Pool/Reuters

Le chef de l’État a clôturé hier une visite officielle de deux jours à Moscou, placée sous le signe de la dynamisation des relations bilatérales.

Le président Michel Aoun a regagné Beyrouth hier soir, au terme d’une visite officielle de deux jours en Russie où il a tenu une série de pourparlers, notamment avec son homologue russe, Vladimir Poutine.

Les discussions avec le chef du Kremlin se sont articulées autour de trois axes principaux : la dynamisation des relations bilatérales, le dossier syrien et son corollaire, celui des réfugiés, et la crise dans la région. C’est à un tour d’horizon général sur ces trois dossiers que les deux hommes ont procédé, témoignant d’une convergence de vues totale sur des questions telles que la décision américaine de reconnaître la souveraineté israélienne sur le Golan, la Syrie ou encore le nucléaire iranien. À cette nuance – fondamentale – près que le volet relatif aux réfugiés syriens, dans le communiqué commun de Baabda et du Kremlin, publié au terme du sommet Aoun-Poutine, reste vague au sujet du timing du processus de leur retour, que Beyrouth voudrait voir lancé indépendamment d’une solution politique en Syrie et que Moscou lie à la reconstruction de la Syrie. Cela laisse supposer que le président Aoun, qui a pourtant exposé à son hôte le poids que représente pour le Liban la présence de plus d’un million de réfugiés syriens sur son sol, n’a pas réussi à lui arracher l’appui souhaité par le pays à un retour de ces derniers vers les régions sécurisées en Syrie, avant même qu’une solution politique ne soit établie dans ce pays. Selon le communiqué, les présidents Aoun et Poutine « qui ont affirmé leur soutien aux efforts visant à mettre en application l’initiative russe pour le retour des réfugiés, considèrent que le règlement de ce problème (les réfugiés) dépend directement de la création de conditions propices, notamment sociales et économiques, en Syrie, à travers la reconstruction du pays. Ils ont invité la communauté internationale et les organisations humanitaires à assurer toute l’aide nécessaire à ce processus ».

Au plan de la dynamisation des relations bilatérales, Moscou et Beyrouth ont exprimé leur volonté de les renforcer, à tous les niveaux, « politique, parlementaire, économique, commercial, humanitaire, éducatif, sportif, culturel, touristique et de l’énergie », selon le communiqué conjoint qui ne fait cependant pas mention de coopération militaire, sachant qu’en février 2018, Beyrouth et Moscou avaient signé un protocole d’entente militaire comprenant une dizaine d’articles définissant les domaines d’entraide militaire libano-russe. Celle-ci prévoit principalement un soutien à l’armée libanaise, notamment à travers l’octroi de prêts bonifiés au Liban pour l’achat d’armes russes, l’échange d’expertise, au niveau entre autres de la lutte contre le terrorisme, la formation de militaires libanais en Russie ou encore l’utilisation, au besoin, par l’armée russe des bases militaires libanaises. Aucune suite n’a pu cependant être donnée à cet accord, en raison d’un blocage américain, les États-Unis, qui restent les principaux partenaires du Liban dans le domaine militaire, ayant mal vu l’extension de l’influence russe en Syrie vers le pays du Cèdre.

Élargir la coopération

Exception faite donc du dossier militaire, les deux parties libanaise et russe ont fait part d’une même volonté d’élargir le champ de leur coopération, au cours des discussions qui ont suivi le sommet Aoun-Poutine, autour d’un déjeuner de travail, au cours duquel le président russe a fait savoir à son hôte que le Liban était un « partenaire traditionnel et de longue date de la Russie au Moyen-Orient ». Ont pris part aux pourparlers élargis les ministres russes des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, de l’Énergie, Alexandre Novak, du Développement économique, Maxime Orechkine, l’ambassadeur de Russie à Beyrouth, Alexandre Zasypkine, l’émissaire présidentiel russe en Syrie, Alexandre Lavrentiev, ainsi que le président du groupe pétrolier public russe Rosneft, Igor Setchine, et du côté libanais, le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, et Mireille Aoun Hachem, fille et conseillère du chef de l’État.

Plus tôt dans la journée, le président Aoun avait reçu M. Setchine dont le groupe avait signé en janvier dernier avec le Liban un contrat pour la réhabilitation, l’expansion et l’exploitation d’installations de stockage de pétrole à Tripoli.

Au plan politique, le dossier syrien et la décision du président américain, Donald Trump, de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan ont occupé un large pan de l’entretien Aoun-Poutine, et des discussions élargies consécutives. Le chef de l’État a désigné la décision américaine comme étant « un jour noir », en insistant sur le fait qu’elle est « en contradiction avec le droit international et toutes les résolutions de l’ONU ».

MM. Lavrov et Bassil ont en outre proposé durant la réunion aux présidents Aoun et Poutine que le Liban participe aux négociations d’Astana sur un règlement en Syrie, à titre d’observateur, aux côtés des principaux belligérants, à savoir, le régime et l’opposition syriens, la Turquie, l’Iran et la Russie, afin de suivre de près l’évolution des discussions autour d’une solution politique dans le pays voisin et d’un retour des réfugiés. M. Bassil a en outre insisté sur la nécessité de dynamiser la coordination tripartite entre Beyrouth, Moscou et Damas, dans la perspective d’un retour des populations syriennes déplacées.

Les autres sujets de discussion ont été évoqués dans le communiqué conjoint. Dans ce texte, les deux chefs d’État ont souligné que « le terrorisme, sous toutes ses formes, constitue une grande menace pour la paix et la sécurité internationales, pour la stabilité et le développement durable dans la région et le monde ». Ils ont affirmé qu’ils entendent « coopérer pour lutter contre ce mal international ». Ils ont refusé « toute violation des principes de souveraineté et d’égalité entre les pays et l’utilisation d’organisations terroristes et extrémistes comme instruments permettant d’accomplir certains objectifs politiques et géopolitiques ».

En ce qui concerne la Syrie, Michel Aoun et Vladimir Poutine ont tous deux affirmé « respecter l’indépendance, l’unité et la souveraineté » syriennes et estimé qu’il n’existe « aucune alternative à une résolution pacifique du dossier syrien ». Les deux parties « sont en faveur d’une résolution par les instances politiques et diplomatiques de ce conflit », poursuit le texte du communiqué.

Poutine invité à Beyrouth

Avant son départ pour Beyrouth, M. Aoun a invité son homologue russe à visiter le Liban. Ce dernier a promis de répondre favorablement à l’invitation, en fonction de l’agenda de ses voyages. Plus tôt en journée, Michel Aoun avait également évoqué la question du Golan à l’issue d’un entretien avec le président de la Douma, Viatcheslav Volodyne. Il a par ailleurs indiqué que sa visite en Russie constituait « une nouvelle étape dans les relations libano-russes, qui renforce la coopération et l’amitié entre les deux pays ».

Évoquant la présence des réfugiés syriens au Liban, il a estimé qu’il est « dans l’intérêt de l’Europe de régler le problème des déplacés, car la situation économique difficile au Liban va pousser ces déplacés à trouver des pays d’accueil alternatifs, et leur première destination sera l’Europe ».

Pour sa part, le président de la Douma a exprimé sa volonté de coopérer avec les parlementaires libanais et leur a adressé une invitation par le biais du président Aoun pour participer à la conférence internationale sur le développement qui se tiendra à Moscou en septembre.

Avant son entretien avec M. Volodyne, le président Aoun a déposé une gerbe sur la tombe du soldat inconnu à Moscou. Il a eu des discussions avec une délégation de l’Église russe.

Lundi, le président Aoun avait rencontré une délégation d’hommes d’affaires russes et affirmé durant ses entretiens que le Liban avait « un rôle-clé » dans la reconstruction de la Syrie. Les hommes d’affaires russes ont fait savoir qu’ils étaient « prêts à contribuer au plan de développement économique du Liban, en participant à plusieurs projets économiques mis en place par le gouvernement libanais, notamment dans les domaines de l’énergie, du pétrole, du gaz, de l’eau, de la reconstruction et des infrastructures ».

M. Aoun avait conclu sa journée par une rencontre avec des Libanais installés en Russie. Il a promis d’œuvrer au « renforcement des liens entre la diaspora libanaise et le Liban ».